Pauline Dassylva

« À cœur vaillant rien d’impossible »

Un repère identitaire dans la communauté africaine

Née le 30 juin 1933 Paule Dassylva habite aux Bleuets tout près du Centre Commercial de Carrefour le Merlan. Quand on entre chez Pauline (c’est le petit nom empreint d’affection que tout le monde utilise) il y a toujours un plat qui mijote sur le feu, toujours un visage nouveau, homme ou femme de tout âge, de toute confession, de toute communauté, présent chez elle. L’autre fois une voisine apportait une assiette de lasagnes en remerciement du tchiboudjene partagé avec elle. On fonctionne encore comme autrefois, comme au village, une solidarité palpable et une chaleur humaine qui réchauffe dans cette grande tour de béton qui surplombe la cité.

Mais, qui êtes-vous « Pauline » ? Permettez- moi de vous appeler ainsi, car il y a un air de déjà-vu, un climat, une présence qui me rappelle curieusement votre amie Mam’ Ega.

La rencontre de Mme Dassylva

Cette maman sénégalaise âgée de 76 ans est née à Dakar à la rue Vincent. Sa mère était blanchisseuse et son père peintre en bâtiment. Paule est l’aînée d’une fratrie de 5 frères et 7 sœurs.
En 1948 elle rencontre M. Diaz et l’épouse en 1950. De leur union naîtra 11 enfants, dont trois sont décédés, 29 petits-enfants et 4 arrières petits-enfants.

Diaz est l’ami du grand frère de la famille, il habite la même cité.

Pedro Diaz Dassylva est Cap Verdien Portugais et cela n’a pas d’importance, il partage la même réalité sociale. (Pedro) Pierre est venu à Dakar à l’âge de 4 ans.

Mme Dassylva perd sa mère à 16 ans, et le père l’a promise à un médecin de Centre Afrique. Mais Paule prend son destin en main, ne cède pas et choisit Pierre. Elle s’occupe de ses frères et sœurs. Elle fait une formation de couture d’abord sur le tas, puis chez les sœurs. Elle passe et obtient son C.A.P en candidate libre à la chambre de Commerce de Dakar en 1953.

Paule met son talent au service de sa communauté et coud pour des sages-femmes à l’Université. Elle devient responsable de la lingerie en 1960.

N°13 comme porte-bonheur ou encore comme le département où Paule a choisi de vivre.

1963 rencontre avec M. Lamine Gaye :

Le vice-président du Sénégal emploie Mme Dassylva dans le Village Artisanal de Dakar : « Le Sou ding ». Elle y enseigne la couture. Elle forme chez elle des filles et des garçons de 10 à 16 ans ainsi que des adultes. Paule a 28 ans et possède son propre atelier de 100 m2 dans sa maison.

Un échange international est prévu. Maître Diabert recrute dans tous les villages du Sénégal afin de constituer la délégation qui représentera le pays aux côtés du Cameroun, du Tchad, du Mali, du Burkina, du Congo, de l’Angola, de la Mauritanie, de la Gambie et des Caraïbes.

Pour cette mission gouvernementale, sous l’autorité de M. Lamine Gaye, un tirage au sort est organisé. Les commerçants choisissent 40 participants parmi lesquels se trouve Paule. « J’étais sûre : ce n’est pas pour moi ! ».

Le sort en a voulu autrement. Paule est désignée par le n°13 et c’est elle qui choisit les 8 personnes qui l’accompagneront en France :

2 bijoutiers
2 sculpteurs
1 couturier
1 Tisserand
1 relieur
1 cordonnier

Pour ce voyage, les artisans sont payés sur le chiffre d’affaires. Le total des ventes potentielles en valeur marchande représente 8400000 francs CFA (4 millions de bijoux-or, 2 millions d’argent filigrane, ainsi que de l’artisanat local : maroquinerie, chaussures, sacs en crocodile…).

1970 le 4 septembre, Foire de Marseille.

La représentation Sénégalaise arrive à Marseille le 1er septembre 1970 pour participer à la Foire de Marseille, Mme Dassylva en est la responsable, angoissée par ses obligations ici et à Dakar. Elle loue un coffre auprès de M. Pigeonnier Directeur de la Foire pour les 8 jours de cette manifestation. Mais en 5 jours tout est presque vendu.
La délégation est hébergée à l’Hôtel Tapis Vert à Marseille. Après de longues journées de 9h à 19 h du soir, Paule décide de participer à la foire de Montpellier où tout sera vendu.

Les souvenirs défilent comme si c’était hier, fidèles à la tradition orale Africaine. Pauline n’oublie aucun nom, aucun visage, aucune date.

« Je voulais connaître la France »

Paule va voir sa fille, reste deux mois entre Paris et Marseille, puis elle retourne au pays avec l’intention de revenir.

M. Diaz ne travaille pas depuis plusieurs mois. A Dakar Mme Dassylva a trop de responsabilités trop de charges. Aussi Paule se donne 5 mois pour préparer le retour sur le continent européen avec en tête d’autres foires : Düsseldorf, Bruxelles, Lyon…Marseille.

1971 Pourquoi Marseille?

Mme Dassylva a su capitaliser cette expérience et créer un petit réseau et retrouver des amis de Dakar sur Marseille. Elle trouve après une nouvelle tournée dans les foires internationales, un travail comme fille au pair. Elle s’occupe d’un couple de personnes âgées dans les quartiers résidentiels du Prado Marseillais.

Après leurs décès, Paule habite un studio meublé comme beaucoup de compatriotes émigrés, au 37 bd National et son premier investissement est l’achat d’une machine à coudre industrielle. Durant 18 mois elle crée son réseau et envoie son salaire à Dakar.

1972 Cette mère courage fait venir quatre de ses enfants et son époux. Elle fait des ménages la journée de 7 h à 11h et de la couture jusqu’à 21h. Elle vend son travail sur les marchés de Marseille. Sa fille ainée Fidji est mariée à Paris et la famille habite un petit T3 à Campagne L’évêque.

1973 La Rencontre avec Mme EGA

Paule vient à la Busserine pour rencontrer une Dame dont on lui a parlé. Elle descend du bus parée d’une tenue sénégalaise dont l’élégance ne surprendra pas ceux qui la connaissent.

Ironie du sort ou clin d’œil du destin? Paule tombe nez à nez avec une femme noire d’un autre continent. Celle-ci, séduite par une telle tenue et un port si digne, l’accoste ainsi : « bonjour Madame, vous êtes une belle femme, d’où êtes-vous et que faites-vous ici ? »

Paule lui répond : « je suis du Sénégal. Je suis venue ici pour trouver un appartement et voir Mme Ega. »

Françoise sourit : « vous l’avez devant vous… »

L’attraction est immédiate chez ces sœurs venues du bout du monde.

Quatre jours après, se souvient Paule, j’ai obtenu une promesse pour un appartement. Quinze jours plus tard elle réalise les travaux dans ce F5 à ST Barthélémy III bat n°10.

Françoise a trouvé, on ne sait où ?, quelques mobiliers de dépannage et a participé au nettoyage du logement. Une solidarité à l’africaine ou un coup de main à l’antillaise, comme savaient le faire ceux qui n’ont rien et donnent tout, cette génération d’hier. C’était le 13 octobre 1973.

Paule poursuit avec respect et émotion : «  tous les deux jours elle passait pour me demander si tout allez bien et m’inviter à venir à l’église avec toute ma famille ». (Ce détail amuse Pauline qui le souligne en riant).

Paule et Françoise seront voisines et leur amitié durera jusqu’au départ brutal de Mme EGA le dimanche 7 Mars1976 dans la petite chapelle de Ste Claire. Elles fréquentaient la paroisse et le catéchisme ensemble.

« J’ai fait venir tous mes enfants ». Mme Diaz vient grossir le nombre des toutes premières familles Africaines de St Barthélémy III. Il y avait M.Diaye et sa famille du Sénégal, M. N’Gonga du Cameroun et puis les autres M. Diatta, M. Mendy, Mme. Mendy, Mme Anse, Mme Prepora…

1974 création de l’association H.D.R.

Créée à la Busserine, Humanitaire Dernier Recours est une association d’entraide intercommunautaire qui accueille une quarantaine d’adhérents.

Pauline a 76 ans, se souvient de tous les détails avec précision, dates, noms, anecdotes. Sa vie défile comme un livre et je ne peux m’empêcher de rester bouche bée face à une telle puissance qui n’est pas sans évoquer la force de l’oralité et le legs des Griots – Mémoire Orale des familles et de l’histoire Africaine.

1978/1979 Mme Dassylva crée le premier réseau de familles Sénégalaises du quartier : « L’association Sénégalaise des Ressortissants Sénégalais » dont elle assure la présidence. Elle organise des fêtes, des manifestations culturelles, des échanges avec d’autres associations africaines, avec le soutien de M. Valéry Consul du Sénégal et de M. Laurent Diatta Consul à Montpellier.

Dans le Quartier c’est l’heure des premières solidarités et des échanges entre les différentes communautés (Afrique du Nord et Afrique Noire, Antilles et Europe) à travers des personnalités comme M. Sébaoui, Mme. Vinotti, M. Lippi, M. et Mme Ega.

Mme Dassylva se souvient, non sans une certaine amertume, de la gestion des premiers équipements municipaux au service des particuliers et des associations du quartier. Elle souligne les investissements personnels des particuliers et des associations comme la sienne dans l’achat de matériels afin d’équiper des lieux comme la Maison des Jeunes de la Busserine (actuel E.C.B.) qui avait été dévastée ou dégradée lors de prêt de salle.

Paule rappelle la perte de ces locaux, lors des premiers différents communautaires et des recherches d’intérêts personnels, qui a mis fin à ce que des personnalités comme elle-même et Françoise Ega avaient mis des années à bâtir.

1978 Mme Dassylva part changer d’air aux Etats-Unis, pour rejoindre deux de ses enfants en quête du rêve américain. C’est là qu’elle découvre à la télévision l’horreur du génocide rwandais. Elle a vécu à l’âge de 10 ans, durant la seconde guerre mondiale, l’ innommable et la peur des Allemands, qui ont mis Dakar à feu et à sang. Cette enfant de la Guerre se souvient… C’en est trop. Quatre jours après son arrivée elle retourne à Marseille aider sa communauté.

1979, avec dans le quartier la demande d’une salle plus isolée et mieux adaptée aux prêts et locations , est créée la Maison des Familles.

« Je me lève et je fais la prière »

Le regard de Paule s’illumine, il y a des étoiles dans ses yeux et un sourire venu du profond de son cœur l’habite quand elle me confie : « tous les matins, on dirait qu’il y a quelqu’un qui me dit réveille-toi : «  Je me lève et je fais la prière »

1979 « Humanitaire Dernier Recours »
C’est à cette époque que Mme Dassylva se met en quête d’un local pour la recherche de dons pour le Rwanda. Le traumatisme de la petite fille de Dakar est présent et la révolte l’anime.

Je ne vous raconterais pas comment « Paule courage » a trouvé la force de mener à bien sa mission, cela peut faire l’objet d’un ouvrage. Mais les résultats sont là au bout de deux semaines s’ appuyant sur la radio et de la presse : Trois tonnes de vêtements , de chaussures , de denrées alimentaires de médicaments … stockées dans les 150 m2 du 73 Bd National .

Les adhérents, passés à 150 plus des bénévoles, préparent de 40 à 100 paquets par jours. La cotisation mensuelle pour les adhérents est de 5 Francs. Le local est une fourmilière qui œuvre pendant trois mois sans aucune aide. Rapidement les locaux sont trop exigus et c’ est grâce à la générosité de M. Black Henry, Directeur d’usine, que H.D.R. trouve un nouveau lieu, une friche pour accueillir les dons.

Quand le sort s’en mêle

Le programme est interrompu par l’ hospitalisation de Paule, pour une hernie discale. Durant ce mois d’ hospitalisation Pauline discute de son engagement avec le Médecin de l’ Hôpital militaire Laveran. Ce dernier la met en contact avec un commandant qui propose à la militante d’écrire au Quai d’ Orsay à Paris .

En Juillet 1979 deux camions militaires récupèrent le matériel pour l’emmener à Istres direction Kigali au Rwanda chez une Communauté de religieuses qui se charge de la distribution.

Les crèches sont les premières à recevoir les 400 biberons et médicaments. Il faudra une semaine pour liquider le tout. Les religieuses espèrent une suite et parlent de besoins pour des prisonniers qui sont presque nus leurs geôles.

Humanitaire Dernier Recours, impulsé par Pauline trouve de l’aide dans des hôpitaux Marseillais : La Timone et Bonneveine: 300 pyjamas d’ occasion, 120 cartons, draps, couvertures….

« Quand tu fais avec le cœur Dieu t’aide toujours »

M. Dassylva ne s’arrête pas là. En flânant dans son quartier, elle découvre au Canet face à l’ancienne sécurité sociale, un dépôt vente dans une cour. Elle voit des stocks alimentaires, des vêtements (jeans, tee shirts…). Elle ose. Elle rencontre le Directeur et lui demande si c’est à vendre, puis parle de son action. Il lui demande des preuves. Pauline s’engage à les apporter le jour même, consciente qu’elle ne dispose que de deux cents euros.

Paule attend une demie heure dans le froid, mais ce n’est pas en vain car le directeur lui donne deux tonnes de vêtements invendus (800 tee shirts, 6 cartons de bidons de javels …) qu’elle viendra chercher avec l’aide de ses bénévoles , … pour la même direction avec le même réseau militaire.

Puis c’est une longue pause, après ce second envoi, l’ univers familial prend le pas sur le monde associatif et ses contraintes.

1986 M. Dassylva, met fin à l’association Sénégalaise des Ressortissants Sénégalais.

1989 Troubles en Algérie. On fait appel à Pauline, afin de participer à une solidarité intercommunautaire en direction d’une communauté qu’elle côtoie tous les jours et avec qui elle a tissé des liens très proches. Elle obtient à nouveau un camion plein de fauteuils roulants, de béquilles, de matériel médical.

1990 l’Association « les Femmes de l’Ile de Madagascar »- F.I.M
Marguerite de l’association F.I.M travaillant pour l’aide Humanitaire et la solidarité Malgache demande une aide à Paule. Résultats des courses : 500 kilos de tissus, 3 machines d’occasion et différentes aides, soit au total, un container au bénéfice de Madagascar.

Cette même année un drame interrompt l’engagement de Mme Dassylva. En quelques mois à peine deux décès viennent frapper la famille – Le 4 avril puis le 2 juin, Hubert le fils et Pierre le père. Pauline résiste: « j’ai laissé cela dans la main de Dieu » confie-t-elle avec le ton et la sagesse de ceux qui croient.

Paule part pour l’Afrique pendant six mois. Six mois pour retrouver l’envie de continuer à se battre pour les autres. De retour c’est l’hospitalisation. « Je suis longtemps resté sans rien faire. » Poursuit-elle. Pourtant seulement quelques mois sont passés depuis son grand malheur.

Mme Dassylva part au Portugal pour vendre la maison achetée en 1998 pour Pierre à Campo Lindio.

1993/1996 Mme Dassylva crée le C.C.A.C.(Centre Culturel des Associations Créatives) Mais faute de locaux, l’association ne peut se développer décemment.

Après une rencontre avec M. F.Caccintolo, Paule décide de reprendre l’action humanitaire et elle trouve un local en mars 1996 au 4 Bd Magalone (métro Bougainville) – 865 m2 avec une salle de 268 m2 pour 7000 francs par mois. Mais auparavant, il faut se débarrasser de plusieurs tonnes de pneus qui occupent les lieux. Il faudra attendre deux mois avant que le local soit conforme aux projets de l’association:
Cours de couture
Cours de danse
Salle d’informatique
Activités pour les seniors
Salle d’étude pour les étudiants

La location des salles (mariages, baptêmes, manifestations culturelles…) apportent un autofinancement salutaire au C.C.A.C. Qui malgré le dépôt des dossiers de subventions ne reçoit pas d’aides des collectivités territoriales.
Enfin la Région, puis le Conseil Général participent ponctuellement. Un soutien symbolique qui fait du bien à Paule et à ses troupes.

L’aventure prendra fin avec l’incendie des locaux dont l’origine est encore suspecte pour la Présidente qui a hypothéqué tous ses bijoux et investit de l’argent personnel dans les travaux.

2009 après trois années de pauses et des va et vient entre Dakar et Marseille, Mme Dassylva rebondit avec le Centre des Associations Humanitaires Internationales.

Mme Dassylva projette une action d’insertion par l’économique à Dakar.

Les premières demandes de subventions se feront en 2010.  A ce jour la Mairie centrale et la Mairie du 13e/14e se sont engagées pour soutenir le C.A.H.I.

Faute de lieu pour accueillir le matériel médical, les cliniques (St Maure, Juif, St Martin) et l’hôpital de la Conception le stocke dans leurs locaux.
Plusieurs demandes de récupérations ont été faites à Mme Dassylva. Le temps jouera-il contre elle ? Le risque de voir ce matériel partir à la démolition est pourtant bien réel, alors que cela pourrait sauver des centaines de vies au Sénégal

La machine est en route et « Pauline la vaillante » nous réserve bien des surprises avec comme elle le dit : « à la Grâce de Dieu ».