On l’appelait Pipou ou Biscot

La Ville, où se côtoient des mondes parallèles avec ses publics ses codes et ses réalités qui parfois ressortent comme des éclaboussures faisant la une de l’actualité, ou suintant comme la sauce d’un ragoût, dans une cocote mijotant depuis des lustres sur un feu sempiternel, tel un trop plein de tout. La Cité contient ses excès de vie ou de mort.

Mais il suffit de vouloir pour savoir. Il suffit de s’intéresser aux plus petits pour s’apercevoir que des univers parallèles, tel celui de la nuit, du sexe, de l’alcool, des sans abris, traduisent l’équilibre précaire de la solitude, de la misère, du mal être de notre société à laquelle tous appartenons – plus ou moins.

Il existe, parallèlement à ces espaces du Centre Ville : la périphérie, la Banlieue, le Quartier avec ses propres codes d’intégration ou parfois de désintégration, avec ses instants de gloire, ses illusions, ses réussites.

Ces petits rien, comme des tranches de vie où chaque enfant du quartier a écrit sa propre page à un moment ou à un autre. Un jour, un mois, une année, parfois durant plusieurs décennies. La banlieue est parfois cruelle, il n’y a pas de place pour la nostalgie.

Il n’y a plus de passé, ou peut être d’avenir,  seul le présent existe. Le béton neutre,  résiste au froid, à la chaleur, aux larmes, aux joies, à la vie, à la mort.
Pourtant chacun se souvient « de sa page », (dans ce cadre de vie qui a peu changé), même si les murs ont été les témoins indifférents, de nos histoires, de «  nos essentiels » instants de plénitude.

Tout est comme avant, mais rien n’est plus pareil. Ces visages sont si différents. Être un inconnu alors qu’on a eu l’illusion auparavant, d’être chez soi dans son quartier, dans son bloc, dans sa maison, qui d’ailleurs n’est plus la sienne.

Certains n’y retournent jamais, d’autres en parlent souvent ou alors y reviennent parfois comme pour se sevrer et accepter le changement.
C’est dans l’un de ces biotopes, (loin des réussites exponentielles, des travailleurs sociaux, des semblants de politiques sociales), un lieu très ordinaire, plein de petites gens, de ceux que l’on oublie, dont on ne parle  pas, que j’ai rencontré « Pipou ».

Pipou est issu d’une ascendance, bien connue dans la Cité, c’est l’un des enfants de M.Tir ou plutôt c’était car il nous a quitté en Mai 2011.

J’étais aux Antilles voir nos anciens de la Busserine, lorsque j’ai dit à mon père que « Biscot » est décédé ( c’est le second prénom que tous utilisaient). il m’a répondu un peu surpris, «  Ah ! Alors Biscot est parti. », Puis il s’est répété, deux fois comme pour accepter cette réalité.

Le vieil homme de 92 ans semblait une fois de plus étonné de sa présence, alors qu’autour de lui sa génération disparaît, les uns après les autres. Il n’est pas dans l’ordre naturel des choses de voir les petits jeunes qu’il a connus, s’éteindre et partir avant lui. Mais l’expérience de l’ancien avait déjà connu cette réalité et il le savait que : « Quand ton heure est venue, il faut y aller. »

Lorsque je me suis rendu au magasin, voir les anciens pour qu’ils me parlent de lui, les réactions étaient multiples :

BB : « pourquoi faire ?, je n’ai pas envie d’en parler, c’est notre Pipou à nous, laisses nous le, on le garde dans notre cœur. »

Ce franc-parler, cette défiance envers le travailleur social que j’étais et que je représente toujours à leurs yeux m’ a au premier abord refroidi mais, j’ai très vite dépassé ce ressenti. Il est vrai que la parole a tellement était galvaudée, détournée, non respectée ou utilisée à des fins personnelles, que je respecte aussi cette réaction première.

J’ai rencontré Jean-louis Adjemout, 62 ans, retraité,   pour me parler de Pipou. Jean-Louis est un ancien du quartier.  Il a connu Biscot depuis qu’il était enfant.

Ses premiers souvenirs remontent à l’âge de douze / treize ans.

« Depuis les années 1980 je l’ai côtoyé tous les jours au magasin ou lors de sorties diverses à l’extérieur du quartier. J’ai lié une très grande amitié avec lui. Je ne garde que des bons souvenirs. Depuis qu’il n’est plus là : ce n’est plus pareil. Son humour, sa musique (il écoute souvent Radio Nostalgie, de la funk musique, Barry White, ou Claude François…) Et d’autres musiques Françaises. Ce n’est pas un ami c’est un frère, il est toujours bien, il est gentil, je l’aime bien. »

Jean-louis a du mal à utiliser l’imparfait comme pour nier le départ de son ami, ou garder présent son souvenir vivace.

Sabrina : « le snack est toujours ouvert le soir, mais ce n’est pas pareil, il manque au quartier. C’était un vrai rigolo, un bon vivant. On est que de passage, c’est ça la vie. »

Kader, souligne que « l’endroit » (le magasin)  est leur quartier. C’est un lieu important pour eux. Le quartier ne serait pas le quartier sans ce lieu de vie, essentiel témoin de leur passage de la vie d’enfant à celle d’adulte. C’est là qu’on « tape la Belote, joue aux boules, tue le temps ou refait le monde… en couleur ».

Latifa sa petite sœur se souvient que Biscot avait sa propre philosophie de la vie. Lorsque les choses allaient mal il disait : « On ne s’arrête pas là on continue ». Et moi je me souviens d’échanges, notamment au moment de sa maladie mais pas seulement, où il concluait ainsi : « qu’est ce que tu veux faire ? c’est comme ça c’est la vie. »

Biscot aimait par-dessous tous les siens, sa famille et ses amis. Lors de ces derniers instants à l’hôpital, il demande à son ami d’enfance Fallot de prendre soin de sa sœur Latifa , alors qu’il est en soins intensifs. Puis il a réclamé ses amis Aziz, Jean-Louis, Fallot.

Vers la fin, nous livre Latifa, il s’était rapproché de Dieu :

« on aurait dit qu’il sentait la présence Divine, dans l’intervalle d’une semaine à peine avant son départ, il entendait des paroles en Arabe et il me demande si moi je les entendais. Je lui dis que non. Qu’est ce qu’elles disent ?. Je ne sais pas, je ne comprends pas, c’est comme l’Arabe de tes prières, c’est le Qour’ân, comme des sourates, répond Pipou ».

Latifa, ajoute que Biscot était dans une phase de longue mélancolie peut-être était-il conscient de son départ imminent. On dit que Dieu accepte tous les vœux et Pipou a dit à sa sœur :  « je veux que ce mal s’en aille » Elle de lui répondre, en croyante : « Dieu te soulagera.»

Le grand frère était devenu l’enfant, face à sa petite sœur sans faux-semblant, sans fausse pudeur, seule la tendresse les unissait.
Il a été acteur de son petit territoire. Il a apporté beaucoup de bonheur à chacune des personnes qui l’a connu et a aimé ses amis par-dessus tout.

Deux mots à mon ami Biscot :

Karim a tenu à écrire ce mot à Pipou
«  Biscot est pour moi, un grand frère, un oncle puisqu’il est d’une décennie avant moi. Il m’a connu bébé, il est un grand ami de la famille, notamment de mes oncles. Pour moi, Pipou est une figure emblématique du quartier, c’est quelqu’un avec un grand cœur, une grande générosité, mais c’est surtout un bon vivant, comme on dit.

On ne peut oublier son sens de l’humour avec toujours ses petites blagues, il adorait refaire des scènes de film de ses acteurs préférés (il était d’ailleurs très doué à ce jeu), sans oublier bien sûr ses mimes, les pas de danses, le soir au magasin sur des musiques de Radio Nostalgie, sa radio préférée. Il savait créer une belle et ambiance et la faire partager.

Je repense aux nombreuses sorties que l’on a faites avec d’autres collègues. Cela nous permettait de rire, de nous amuser, mais aussi d’avoir des discussions sérieuses sur de nombreux sujets d’actualité. Pipou, Biscot, mon ami tu nous manques, mais ton souvenir restera toujours dans nos cœurs. »

*Biscot : Au fait j’ai demandé à N’sar l’origine de ses surnoms qui font que l’on en oublie le prénom, comme si le quartier entier l’avait rebaptisé. Quand il était jeune et qu’il allait voir sa mère hospitalisée, il grignotait toujours les biscottes du petit-déjeuner qu’on lui apportait. Depuis ce jour-là N’sar l’a surnommé Biscot (pour biscotte) et cela est resté.

Moi qui ait connu Pipou, je garde une image d’un gars chaleureux mais dans la réserve. Ses coups de gueule brefs mais intenses, sa pudeur et sa gouaille font de lui un personnage incontournable du petit territoire, aux pieds de la tour K de la Busserine.

Jamais je ne l’ai entendu se plaindre même atteint par la maladie qui l’a emporté en ce mois de mai 2011.

Il est parti rejoindre son père Mahboubi Tir, à Khenchela dans les Aurès, lui qui a toujours vécu ici à Marseille, à la Busserine. Il a fait une dernière fois le voyage dans la terre de ses ancêtres, et du haut de sa Montagne tout là-bas il semble nous sourire et oublier le temps.

Si nous nous sommes arrêtés un instant sur ce personnage c’est pour souligner l’importance et la place essentielle qu’il a eue pour une partie des quadras de notre Busserine.

C’est vrai qu’il n’était pas travailleur social, artiste, étudiant, c’était simplement un habitant du quartier avec ses fragilités, ses faiblesses d’homme. Mais c’était un Homme, avec une parole, un code de l’honneur et un respect des anciens.

Texte : J.P Ega

De gauche à droite :
Pipou (Biscot), Belkacem Tir et leur père Monsieur Tir