Mémoire de la population
Portraits d'habitants
Odette Taragonnet
« Femme Courage »
Odette Taragonnet a vécu au Canet, elle était couturière. Jean-Louis son époux était chauffeur routier et fréquentait le quartier. Odette a 28 ans quand elle rencontra Jean-Louis, il l’épousa quelques mois après à Aix-en-Provence. Le couple habitait à la traverse Mère de Dieu dans un petit T2.
1968 : la famille s’installa à ST Barthélemy III et c’est là que naquit Nathalie. Odette mère au foyer propose des travaux de couture à domicile, Jean-Louis le chef de famille a la charge du ménage.
À cette époque « le Quartier c’était une rose… » nous confie Jean Louis.
St Barthélemy III semblait être résidentiel, plus isolé, avec des espaces verts bien aménagés avec chevaux de bois et des rosiers, derrière le bat B et le E. La population y était plus européanisée (Italiens, Espagnols, Pieds noirs, Arméniens,) quelques familles Antillaises et Africaines, la population était majoritairement de souche européenne.
Pourtant, tout prés, il y avait encore les bidonvilles à la place de la cité Font Vert.
1973 : Mme Taragonnet commença à s’engager dans la vie de son quartier avec Mme Ega, Mme Vinotti, puis Mme Garin.
Jean-Louis pris la relève de M. Ega et devint président de l’association de défense des locataires de St Barthélemy III, Odette en est la secrétaire.
L’association œuvre autour de l’amélioration et la rénovation de l’habitat, la défense des habitants, les problèmes quotidiens.
Mais c’est aussi un lieu de conseils et de médiation concernant les problèmes économiques.
Odette fut connue et reconnue, par tous : les habitants de St Barthélemy III mais aussi élus de la Mairie Centrale et d’arrondissement. L’association est affiliée à la C.G.L. (Confédération Général du Logement).
Repérée pour sa gouaille, son franc-parler et sa personnalité franchouillarde, Odette était bien Marseillaise, mais n’avait rien oublié de ses origines Arméniennes (dont elle parlait et comprenait la langue).
Mme Taragonnet accompagnait parfois M. Garo Hosvepian Maire de Secteur à des manifestations Culturelles arménienne. De confession Chrétienne Orthodoxe, elle allait de temps en temps à l’église Arménienne du boulevard Oddo et fit bâptiser ses filles.
Le 18 juin 2001 Odette Taragonnet a reçu, avec Jacques Marty, la médaille de Chevalier de l’ordre du mérite. Une anecdote montre sa force de caractère car bien que très honorée de recevoir cette distinction, elle avait refusé que la cérémonie de remise ait lieu à l’hôtel de Région, expliquant qu’elle avait l’après-midi une réunion avec des travailleurs sociaux sur le quartier, et qu’elle préférait que cela ait lieu à la mairie du 13/14.
Témoignages
Nathalie sa fille
Nathalie est marquée par l’absence de la population après le départ d’Odette, comme un abandon trop rapide de certaines personnes, dont les politiques, avec qui elle avait pourtant tant oeuvré.
Solange Garin, son amie
1978/1980 : Odette et Solange se côtoient à l’association des locataires et abordent les questions sensibles comme l’insécurité, la drogue, l’entretien de St Barthélémy III, la rénovation du bâti … c’est le début d’une grande amitié et un engagement sur le plan associatif. C’est la période ou une certaine lassitude gagne le bureau de l’association des locataires, qui a du mal à obtenir des réponses contraintes.
M. Alain Foureste, mandaté par la Mairie de Secteur, réalise une concertation pour monter des projets et c’est l’époque de l’inauguration de l’Avenue Salvador Allende sous Gaston Deferre, Maire de la Ville de Marseille.
Lors des réunions de concertation sur ce qu’il est possible de faire sur le quartier, Odette était très enthousiaste alors que Solange était plus dans la réserve.
C’est l’époque des majorettes avec M. Carta et de la fanfare, les Pirates de Messieurs Manzo et Desroches, mais aussi celle de M. Puesch Sylvestre et de M.Parent.
1983 / 1993 : la Grande Réhabilitation de ST Barthélémy III, en trois volets.
les facades , les portes du balcon.
les balcons métalliques plus larges que les anciens balcons en béton ( doublés en en profondeur)
les cages d’escaliers, les portes d’immeuble, les boîtes aux lettres, les espaces verts .
1990 : L’association des locataires organisent des concours de balcons fleuris.
Nadine Bonhomme, succède à S. Montarello, puis c’est R. Mouillac qui prend le relais.
Une provinciale à Paris
Solange raconte en souriant quelques anecdotes croustillantes avec son amie. Odette n’avait jamais pris le train pour partir loin de Marseille. Odette c’est « Raimu au féminin » nous confie Solange, narrant les attitudes d’Odette qui firent rire tout l’avion par des réactions spontanées et cocasses.
Sécurisée par l’indépendance de Solange, ancienne Parisienne et habituée à voyager, Odette est partie à la découverte de la Capitale et s’émerveillait de tout : la Madeleine, l’Opéra, Bastille , la tour Eiffel. Elle savait qu’avec Solange, elles ne se perdraient pas dans la Grande Ville.
Elles ont été reçues par Martine Aubry, Ministre du travail à l’époque.
2002 : Solange prend sa retraite
2003 : Solange est très fatiguée avec cinq mois d’hospitalisation. Elle se retire peu à peu de l’action associative et garde une distance salvatrice.
Odette était très dévouée, tout cet engagement lui permettait de s’évader, d’oublier les petits soucis quotidiens. Elle avait un grand cœur et voulait toujours faire plaisir même si elle ne faisait pas l’unanimité, vendant parfois la peau de l’ours avant de l’avoir tué… puis un silence s’installe. Solange très émue, se souvient :
« Elle qui parlait beaucoup elle est partie dans le silence. Son départ a créé des remous sur le quartier… Que sera l’association de locataires après Odette ? »
Jeanne Philippe, son amie
À l’après-guerre, St Barthélémy est une cité d’urgence, les pieds noirs et Marseillais du Panier sont relogés dans nos quartiers. La population de souche européenne y était majoritaire.
1985 à 2001 : Jean-Louis et Robert, secrétaire adjoint de l’association de locataires, se fréquentaient régulièrement.
« Odette, nous confie Jeanne, était une femme très avenante, très expansive qui entrait en contact avec facilité et qui n’avait peur de rien. »
1990 : On compte plus de 100 nationalités sur le quartier : Mahgreb, Yemen, Comores, Cameroun, Congo, Sénégal, Kurde, Amérique, Espagne, Italie, Cap Vert, Antilles, Vietnam…
Odette, Solange et Jeanne forment un noyau fiable pendant plus de 20 ans. Odette est très populaire, reconnue pour son charisme et sa forte personnalité.
« Le Bâtiment C à St Barthélémy III est un carrefour, tout le monde se connait.. » nous livre Jeanne . Il y a beaucoup de solidarité comme dans le quartier , du lien informel.
Exode de la population blanche
2008 : le Club du 3éme âge a eu 40 ans, c’est le seul lieu où la population blanche est encore majoritaire.
2009 : « Aujourd’hui… Je connais une famille par cage d’escalier. Tout le monde quitte le quartier. »
Le jour de la remise de la médaille de l’ordre et du mérite le 18 juin 2001, Odette disait: « c’est avec un coeur gros comme ça que je vous dis je vous aime à tous ».
Odette nous manque déjà.
Discours d’Odette Taragonnet lors de la remise de la médaille le 18 Juin 2001
Chers amis,
Je vais juste vous dire quelques mots:
« Pour la première fois je dirai de ma vie, j’interviens à la mairie 13-14 pas en qualité de militante associative, mais plutôt en qualité de citoyenne.
Trente trois ans dans une cité, et y vivre au quotidien, c’est : apprendre, connaître, aimer, mais c’est aussi hurler, crier, pleurer. C’est surtout grandir et mûrir.
J’ai rencontré je ne sais combien de directeurs, de présidents, de chefs d’agence HLM. Des bons, des moins bons, des pertinents, mais des conquérants aussi.
Mais ce que je peux dire, c’est qu’ils ont eu une durée de vie de 1, 2, 3 ans maximum.
Par contre, moi, j’ai tenu 33 ans d’aide bénévole aux locataires. La raison est toute simple : j’aime ce quartier.
Certains aiment leur petit pavillon, moi j’aime mon immeuble, mon quartier, ma cité et les associations, et par dessus tout mes locataires.
Être bénévole d’une association de locataires, c’est voir arriver les gens, et surtout les voir partir. Ce qui vous fait mal, c’est quand ils partent.
Et c’est pour cela que cette médaille, cette distinction, je vous le dis à tous et à toutes ce n’est pas la fin de madame Taragonnet, mais c’est surtout une piqûre de rappel de notre combat pour ces dix prochaines années.
Aussi je remercie de tout mon cœur les personnes qui un jour ont eu la bonne idée de faire cette démarche pour que nous soyons monsieur Marty et moi-même là aujourd’hui.
Je remercie donc l’association sociale et culturelle du quartier de La Busserine, dont trois personnes honorables, simples et modestes : Sylvie Hautcoeur, Joelle Bomberger, Michel Ayela qui m’ont fait confiance et qui je pense sont fiers de moi aujourd’hui.
Je remercie également monsieur Garo Hovsépian, maire du 13/14ème qui nous reçoit ce jour dans sa mairie, mais pour moi c’est plus que le maire, c’est un ami sincère, honnête et franc. Je le remercie d’avoir accepté de me décorer et de m’avoir donné des moyens d’inviter à cette occasion ma famille, mes amis, mes voisins, les associations et les élus. Je crois que je n’ai oublié personne, si c’est le cas, je m’en excuse, car aujourd’hui, ce 18 juin 2001, c’est un rêve pour moi.
A toutes les associations de mon quartier, à mon mari que j’aime, mes deux filles, Sylvie et Nathalie, et surtout à mes deux petits-fils Mikael et Mehdi je dédie cette médaille de chevalier de l’Ordre du Mérite, car elle nous appartient à tous : « à vous et à moi ».
Et c’est avec un coeur gros comme ça que je vous dis :
« je vous aime à tous »
Odette