Kamel Boudjellal

« La gouaille et l’humour de Marseille »
Théâtre et sociétés : une dynamique qui se nourrit de la vie des populations du territoire Marseillais

Kamel Boudjellal est né le 9 Mars 1969, au domicile familial, accouché par « Zroda » la sage femme de la Campagne Benausse, actuelle avenue Salvador Allende. Kamel est le fils de Keddach, artisan maçon, et Rebhia femme au foyer. Il est le cinquième enfant d’une fratrie de 10 enfants.
Le papa est arrivé en 1954 dans les baraquements, à la Cité provisoire de Font Vert à Marseille. Il fait venir sa femme de Kaïs dans les Aurès en Algérie, avec ses deux enfants, Saïd et Hanifa. Dans les années 71, démolition des baraquements de Frais Vallon pendant trois ans puis en 73 arrivée au bâtiment G3 au Grand St Barthélémy.

Souvenirs de petite enfance

A l’école primaire Busserine, il était amoureux de Mme Antoine. Il n’avait que six ans et était son chouchou. Le Directeur adjoint s’appelait M. Règle, l’école n’était pas mixte. Il fallait traverser la cour des garçons pour aller parler aux filles. Kamel se souvient avoir eu comme instituteur, le tristement célèbre Jean-Bruno Finochetti (de  la Tuerie d’Auriol). Il n’ a alors que 9 ans en classe de CM2. Comme tous les enfants, malgré ce drame, il gardera toujours le souvenir d’un gentil instituteur et d‘un bon pédagogue.

Kamel se souvient de cette époque où la mixité communautaire et les échanges entre les familles sont au centre des relations dans le quartier. Les parents allaient à l’école, récupéraient les enfants des voisins avec les leurs si les parents travaillaient. Les enfants passaient d’une maison à une autre sans complexe.

Son regard pétille quand il raconte sa première fugue. Il garde le souvenir de Mme Boulalib qui le croise dans la rue et le raccompagne par le col chez sa mère…, c’était comme ça à l’époque. C’est ainsi qu’il partait l’été un mois à Port St Louis avec M. Figlia le Sicilien chez qui il mangeait tous les week-end.

Cette solidarité entre voisins laisse des traces indélébiles chez l’enfant qu’il est et ce goût prononcé pour le théâtre société, à travers toutes ses perceptions des particularismes communautaires qu’il viendra nous conter.
Son premier cadeau de Noël il l’a reçu de M. Giacallone en 1984, il a douze ans. Il jouait au stade de la Busserine et se battait avec les Roms. Il a passé de belles années au Pic de l’Étoile , entre 8 et 14 ans et dans son territoire de St Barthélémy.

Sa scolarité est bonne, deuxième de la classe en CM1 et premier en CM2.

En février 1981, à 11 ans et ½, Kamel perd son frère Zhair, abattu tragiquement par un voisin du quartier alors qu’il n’avait commis aucun délit et jouait avec d’autres jeunes.

En juillet de la même année, c’est la maman qui décèdera. Kamel dit qu’il était un enfant turbulent, et se souvient qu’elle le punissait. Elle était joyeuse, accueillante et en imposait par son autorité naturelle. Elle n’aimait pas les injustices, la maison était toujours pleine.
Mme Boudjellal faisait le commerce informel de petits bijoux, de lingerie. Les va-et-vient entre le pays et la France lui ont permis de construire une maison. D’elle, Kamel héritera la débrouillardise et une facilité relationnelle qu’il utilisera sur scène et dans la vie. Car l’enfant qu’il était observera et retiendra le monde avec attention.

Avec l’arrivée des Pieds Noirs d’Algérie et leur position dans l’Éducation Nationale, Kamel pense qu’il y a eu des prises de positions politiques sur l’orientation des Africains de France. La guerre d’Algérie se poursuivait sous d’autres formes, ironise-t-il avec distanciation. A son grand regret, son père accepte la décision d’orientation qui lui est proposée pour le L.E.P. la Floride, en préparation d’un BEP électro.

Les années Collège

Il est mal orienté comme beaucoup. Le papa fait confiance à « l’ instituteur, mal intentionné » . Kamel n’investit plus sa scolarité. Ses résultats sont nuls, sauf en français et en anglais. Au Collège, on fume et on a les fréquentations que l’on trouve. Il y a déjà dans ces lieux du cannabis. Kamel prend conscience de toutes ces influences et à dix-sept ans et demi il part pour changer de vie, briser son investissement dans la marginalité, son sentiment de révolte contre les institutions de la République et sa colère en lien avec le décès brutal de son frère. L ‘affaire fait grand bruit en 1981.

Il choisit de s’inscrire à l’armée et s’engage en V.S.L.O.M. (Volontaire Service Long Outre-Mer). Il a pour référence idéologique la cellule combattante communiste, Fraction Armée Rouge. Il restera à l’armée un an et demi au lieu des vingt quatre mois prévus initialement, après rupture de son contrat. Il dit avoir connu le racisme et la colonisation durant cette expérience de vie. Les noirs étaient communément appelés les golos.

Kamel refuse de contribuer à l’exploitation coloniale de la France en Somalie. Il refuse le racisme et les passages à l’acte quotidien légitimés par la hiérarchie.

Il termine l’armée en 1990 et rejoint le Théâtre de l’opprimé – Méthode de théâtre inventée par Augusto Boal -, avec Farid et Loucif, durant cinq année à Paris dans le dix-huitième arrondissement (station de Métro – Marcadet / Poissonnière). Il se débrouille pour faire des petits boulots lui permettant d’assumer ses cours de comédien : Comedia del arte , musique, palliant ainsi partiellement à son statut de comédien stagiaire.
C’est à Paris qu’il débute en tant que comédien et encadre ses premiers publics : S.N.C.F, Allocations Familiales, Éducation Nationale, Village de la D.A.S.S. …

Il parcourt toute la France : Lyon, Paris, Perpignan, Reims, Beauvais, Châtillon en Bazois… Il découvre la gastronomie et se réconcilie avec l’histoire de la France. Cela durera quatre ans et demi.

En 1994 il crée le théâtre « Les sans paroles » et associe ses anciens compagnons de théâtre forum à ses premiers contrats.

Yves Guerre, philosophe, metteur en scène, écrivain, chroniqueur, comédien et directeur artistique du «Théâtre de l’opprimé », était sa référence. Il en garde à ce jour une relation privilégiée.

Il découvre le fonctionnement et le dysfonctionnement des institutions, à travers le théâtre forum.

Il joue un rôle de consultant. Il suit une formation en G.R.H., travaille avec différentes entreprises : les P.T.T., la police, Shell, les Baumettes, des associations de femmes battues, les logeurs, les lycées , les collèges ,….

Théâtre et Sociétés

2002 : Kamel se sépare de ses deux cofondateurs et amis, Longo et loulou, afin de créer «Théâtre et Sociétés ». Ce sera l’année de la première pièce : la Révolution des Chibanis. Ce spectacle est une reconnaissance pour tous les enfants et fils d’ immigrés, un hommage aux anciens – cf : http://chibanis.over-blog.fr/

Décembre 2003, première représentation à l’E.C.B. La pièce est un succès et tourne encore dans toute la France. Une cinquantaine de représentations à ce jour.

Kamel se positionne. Comment créer avec le théâtre et les microcosmes sociaux des passerelles. La formule est intéressante pour les entreprises. Après avoir participé à des réunions et entretiens avec des cabinets de consultants, il provoque des situations, jeux de rôle, où chaque salarié – employé, cadre, dirigeant – viendra jouer et confronter son point de vue, se libérant ainsi des tensions internes et permettant d’apaiser les affects et les frustrations. Ce processus permet à travers la parole de redynamiser les équipes.

Ces intrusions dans les univers professionnels permettent de rentrer dans des entreprises jusqu’ici très fermées.

2004 – 2012 : les créations se succèdent

Territoires sans lumières : d’après le texte de Nilly – dénonçant la lenteur, les incohérences, et la partialité des procédures administratives de l’administration Française.

Les épouvantails : Histoire des rêves de quatre RMIstes, qui doivent tellement d’argent qu’ils ne vivent qu’un seul jour, le cinq du mois date du virement. La pièce – la détresse de toute une population.

D’une Belle à l’autre : la pièce est une déambulation dans la mémoire collective du patrimoine marseillais. Arrivée des Italiens, les Babis ou Ritals, en 1981, dans le quartier longeant l’autoroute, prés de la porte d’ Aix – Racati – et à la Belle de Mai, place Cafaud. C’est l’époque de Pierrot le Fou.
Le monopole du port était aux Grecs, experts en matière maritime. Puis aux Corses pour les quartiers de l’Opéra et du Panier. Les pieds noirs, pattas négras, pendant la guerre d’Algérie, propriétaires du quartiers de Félix Pyat, qu’ils vendront dans les années 70 aux Tunisiens. On appelle le quartier, la Cité Bourguiba. en 2000, arrivée des Comoriens qui seront à leur tour locataires des propriétaires Tunisiens. La pièce est le reflet de processus d’intégration de ces différentes communautés qui sont parfois en décalage, en fonction de leur arrivée dans le temps et de leurs spécificités culturelles.

Pattas Négras : c’est l’histoire de la communauté pieds noirs et de la communauté magrébine, de l’amour entre ces deux communautés. L’une accepte la condescendance paternaliste coloniale, l’autre la refuse. Tout cela dans un univers musical.

Les êtres magnifiques
 : histoire de différentes générations et de différentes communautés et de leur conflits intergénérationnels… Entre incompréhension et rupture.

Théâtre et Sociétés est une dynamique ininterrompue qui se nourrit de la vie des populations, découvrant les microcosmes sociaux. Pour Kamel addict de découverte, c’est un apprentissage qui ne s’arrête pas, c’est l’école de la vie. Cette instruction lui permet de rendre hommage par le théâtre à toutes les communautés et à tous les anciens qu’il a rencontrés et il garde en mémoire que : Subir en silence est le lot de toutes les migrations.

Nous attendons pour 2013 Destin Mektoub, sur la vie des Harkis.

Kamel nous rappelle que son moteur, c’est l’Histoire, c’est les autres.