Jacques Behmoaras

« Un personnage bien sympathique, un marseillais du Mail d’abord »

L’après-guerre

C’est l’époque, Marseille réquisitionne des travailleurs pour les faire travailler à la construction de la base sous-marine qui a été bombardée le 3 décembre 1943.

Né le 12 Mai 1942 à la Plaine à Marseille, Jacques est le fils d’un journalier (docker de Marseille) mort en S.T.O. (Service DU Travail Obligatoire) le 3 décembre 1942. Il a un frère de quatre ans son aîné.

La famille vivait à cinq dans une pièce : les parents, les deux enfants et la grande mère paternelle. L’absence du père se fait ressentir et les revenus sont modestes. Jacques se souvient avoir été brûlé au bras par une casserole de lait bouillant sur la cuisinière à bois qui chauffe l’unique pièce de l’appartement au boulevard Eugène Pierre.

En ce temps-là, il y avait deux lignes de transport en commun : le tramway 68 (Gare de l’Est – Cimetière St Pierre) et le n° 40 (Gare de L’Est – Aubagne).

La rue est le terrain de jeux du petit Jacques âgé de 6 ans qui fréquente l’école des Garçons rue Alexandre Copella. Il n’y avait pas de mixité, l’école des filles était à la rue de L’Olivier.

Le Marseille des années 50

Marseille était le point de chute et le carrefour des personnes oppressées.

Les souvenirs sont intacts et le regard bleu azur de Jacques est vif et plein de vie. Il remonte le temps.

En 6éme, il y avait plusieurs options pour les langues vivantes : Anglais, Espagnol, Italien, Allemand, Russe.

En 1953 Jacques a 11 ans, il reste à l’école jusqu’à 15 ans puis il est apprenti sans salaire pendant 3 ans soldé par le E.F.A.A. (l’examen de fin d’apprentissage artisanal).

Le Ventre de Marseille – Le quartier de la Plaine

C’est le Marseille que nous conte la Trilogie de Marcel Pagnol, dans La gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le temps des secrets. C’est au Cours Julien et à la Plaine que l’on vend tous les fruits et légumes jusqu’à la Gare de l’Est, le quartier Noailles.

Les métiers d’antan se matérialisent et revivent dans « les regards » de Jacques.

Les ambulants

Le tondeur de chiens qui était dans la rue…
Le vitrier, il avait tout sur le dos et chantait : « Vitrier…Vitrier… »
Le marchand d’olives…
Le ramoneur de la rue Horace Bertin : l’Entreprise Breusa…
Le marchand d’anchois dans des fûts de chêne au gros sel avec de l’ocre.
Mathieu qui vendait la glace et l’hiver les marrons chauds.

Les résidents

Le rémouleur avec la charrette et la meule à eau. Il était fixé à la Plaine
Le marchand de vélos, M. Ruggieri
Le marchand de chichis frégis
Le marchand de brousse du Rove
Le marchand de panisses
Le menuisier qui réparait sur place
Le rempailleur de chaise qui n’avait pas d’échoppe, il réparait aussi, sur place, les vaisselles, les porcelaines et les parapluies.

Les Pizzaoïles ….

« Sauveur » à la rue d’Aubagne
« Rives Gauche » à la place Thiars
« La Galiote » quai de Rive Neuve

Les saisons se déclinaient ainsi :

Le marchand de pognes de Romans à la fleur d’oranger. Avant Noël et Pâques.
L’été le triporteur (marchand de glaces) avec sa trompe pour attirer les enfants.
Fin juin le vendeur d’escargot qui criait : « à l’aïglou soun les limaçons » … Et les enfants de répondre … « Ceux qui les mangent c’est des couillons ».

Je me souviens encore, poursuit Jacques…

« Les cigarettes gauloises étaient à 50 cts … Le pain était pesé, 400g le restaurant, le pain sur plaque (semblable au pain de mie), c’était une révolution. L’hiver, le boulanger faisait cuire les plats chauds, l’été cela n’était pas nécessaire.

En 1963, maman a acheté la cuisinière à gaz. Sur 1000 m2, on pouvait compter 4 boulangeries pâtisseries, le pharmacien, le ferronnier, le serrurier, un marchand de légumes, trois boucheries (dont Zumina et Roche). Mme Rocheil la fleuriste, M. Berge le crémier avec sa chantilly, qui affinait le fromage dans sa cave à fromage.

Et de multiples bars :
Bar des glaces
Bar de l’Azur
Bar des Sports
Bar de Bruys

De multiples cinémas :
Le Chave, le plus grand cinéma de Marseille – 1200 Places.
Le Mondain, qui faisait aussi salle de spectacle, à l’angle de la rue Louis Astruc.
L’Alcazar, salle de spectacle qui a reçu des artistes prestigieux comme Bill Halley, Jacques Martin, Reda Caire, Luis Mariano, Andrex, Fernand Sardou…».

À ce propos, Jacques raconte une anecdote avec le sourire serein des narrateurs de Marseille : j’ai croisé Fernandel (Fernand Contandin) chez M. Ruggieri où il achetait un vélo pour son fils. Il habitait au 70 Bd Chave, en 1955–56. Fernandel a commencé à la Plaine chez Pélissier, un grand Bar Café Concert à l’époque du Comique Troupier d’Ignace, d’Ouvrard, …»

Jacques se rend au cinéma une fois par semaine, à l’époque des anciens francs on payait 0,80 cts la place…

Du Quartier Chave – Mérintié à St Victor

Dans l’immeuble de trois étages où vivait Fortunée sa mère, il y avait une bonne entente.
Au troisième étage, il y avait les bourgeois M et Mme Genre,
Au Deuxième M. et Mme Fantini et nous,
Au premier M. et Mme Pérez,
Au rez de chaussée, il y avait Mme Lagier et le Bar qui donnait derrière le 74 Bd Eugène Pierre ( ex Bd Merintié / nom du Maire de Marseille au XVIIIe siècle.)

Entre 18 et 24 ans, Jacques demeure dans le quartier Chave Mérintié. À 19 ans, il part à l’armée du 1er janvier 1962 au 1er Juillet 1963, mais n’a pas connu la Guerre d’ Algérie car il est pupille de la Nation.

Puis il retrouve son employeur, en tant qu’électricien, jusqu’en juin 1965.

C’est cette année-là qu’il rencontre Mireille Génoyer qui est de St Victor. Ils se sont rencontrés au bal musette, le Club à la rue Grignan. Eddy Tournel et Henry Martinet animaient les après-midi dansantes. L’année suivante il épouse Mireille et en 1967 naissance d’Isabelle.

De 1966 à 1972 – Boulot, maison, dodo. La famille habite face au stade DIGIOVANI, au bd de Tellène, mais Jacques n’a pas le temps d’investir le quartier.

En 1968 au mois de février, Jacques est embauché chez Panzani comme électro-mécanicien, il y restera jusqu’en 1971. Il fait les 3/8. Il est responsable de trois machines et il a six femmes rattachées à ses services pour la maintenance des machines.
Durant les événements de 68, les Français subissent une pénurie, plus aucun aliment n’est disponible dans les magasins.

L’usine à cause d’un piquet de grève s’arrête de fonctionner. M.Panzani se déplace, car il y a eu sabotage de l’usine. On a versé de l’eau dans la pâte et cela a eu pour effet de produire un bloc aussi solide que la pierre.

Jacques assure la maintenance des machines et travaille malgré les piquets de grèves, pour nourrir sa famille. Il en garde un goût amer, car les promesses de M.Panzani n’ont jamais été honorées.

1972 – 1978 : Jacques BEHMOARAS et sa famille habitent « Le Castellas » petite cité H.L.M.

1972 : c’est l’heure d’une reconversion totale pour l’électricien, qui devient manutentionnaire, vendeur de pull-over. Jusqu’en 2002.

Le Mail : je m’en mords les doigts

1978 :  le 31 juillet, Jacques a un appartement à la résidence du Mail livrée en 1973. C’était du neuf avec cuisine équipée, moquette et salle d’eau avec baignoire.
Jacques et sa femme sont à 20 minutes du travail en bus. Jaques s’engage au conseil Syndical en tant que Délégué, avec huit autres personnes.

Le constat : « j’ai trouvé cela merveilleux, tout était propre, avec un environnement sain, une bonne population, ma femme et moi travaillions et nous pouvions subvenir aux charges. Tout le monde travaillait. »

En 1980 les gens n’arrivent plus à payer leur loyer… C’est la crise économique.

Un T3 à 96000 francs 7 ans après coûte 13.000 €. Un jeu morpion qui valait 5 francs le 31décembre 1999, le 1er Janvier 2000 coûte 1€ (1€ = 6,55957).  Alors que les salaires ne bougent pas tout augmente. « Cela l’Etat Français se le met dans la poche… » nous dit Jacques.

« Je défends mon patrimoine »

Le même T3 vaut 22.000€ en 1983. Les différents syndics sont partis avec la caisse, les taxes ont augmenté de 22, 83%.
Un plan de sauvegarde pour sauver le Mail est accepté. Jacques garde en lui une révolte juvénile et dénonce le manque de civisme de la population.

Beaucoup de primo arrivants (Kurdes Turcs, Assyro Caldériens- Assyrie du Nord de l’Irak).
Absence de participation à la vie de la copropriété, puisqu’ils paient leur loyer.
L’environnement des deux tours est difficilement gérable.
Problème d’hygiène – rats.

Malgré tout cela Jacques ne partira pas. Sa famille habite le Mail et c’est aussi un quartier de Marseille, celui des années 2010.

Texte J.P Ega