Haddah Berrebou

« La Gaillarde : «Malgré, surtout avec la crise, il ne faut jamais renoncer»

Mme BERREBOUH est née le 9 novembre 1943 en Algérie à Skikda près de Constantine. Le papa est maçon et la maman, mère au foyer. Elle est la dernière d’une fratrie de deux sœurs. La famille s’installe dans la banlieue de Grenoble dans le quartier de la Capuche près de l’École Normale. Haddah n’a que quatre ans. C’est à la campagne qu’Haddah passera une enfance heureuse sous la neige des hivers grenoblois. Elle se souvient de l’arrivée des premiers immigrés Italiens lorsqu’elle avait huit ans. Dans les années cinquante, dans sa ville, il y avait peu de ressortissants du Maghreb.

Sa maman ne savait pas lire, mais surveillait sa progéniture de près. Lorsqu’elle observait les cahiers en feignant de déchiffrer les devoirs, elle commandait de recommencer s’il n’y avait pas une bonne présentation ou des tâches. Ce n’est qu’à l’âge de douze ans qu’elles se sont aperçues du leurre : maman ne savait pas lire. Elles grandirent à Grenoble jusqu’à l’âge de quatorze ans pour déménager ensuite dans les basses Alpes, à Oraison.

En 1957 le papa se fait arrêter par la police française pour avoir participé à la révolution Algérienne. A sa sortie, Haddah et sa famille retournent en Algérie pour se faire oublier. Ils y resteront plus d’une année. Vers le début des années soixante, c’est le retour à Marseille, dans le préfabriqué de la Calade dans le quinzième arrondissement.

Le Cap Janet et sa campagne seront l’aire de jeu des deux adolescentes. Leur scolarité s’effectuera au Lycée Technique de la Cabucelle. Haddah suivra une formation de sténodactylo.
La population du quartier est majoritairement issue d’Afrique du Nord. La plupart sont illettrés. Haddah et ses copines remplissent ou lisent les courriers.

C’est Haddah qui faisait l’actualité de la guerre d’Algérie. Tous les jours elle inventait des événements afin de satisfaire le désir inassouvi d’informations de sa famille et de ses oncles concernant la situation en Algérie.

Dans ce quartier prolétaire l’ambiance est bonne et la population solidaire. « Tous les après-midi, on buvait le café dehors. Gitans, Maghrébins, Africains, chacun apportait quelque chose. Beaucoup de mariages se feront à la Calade. Les Tunisiens faisaient souvent le Thé. Tata Mabrouka  avait une télévision et toutes les filles du quartier venaient la regarder ».

À l’actuel emplacement des trois tours du Cap Janet, le préfabriqué Logirem de la Calade était de plain pied et les jeunes filles se rendaient au niveau de grand littoral pour aller chercher de l’eau.
C’étaient pour cette dizaine de jeune filles la sortie, tous les deux trois jours. Dans le haut de la Calade, sur le littoral, il y avait des traces de la guerre. Certains habitaient dans les  blockhaus, abri en béton, de la seconde guerre mondiale. Il y avait aussi comme à Font Vert, l’Estaque ou la Cayolle des bidons villes. L’actuel Bougainville était un quartier de petites habitations ouvrières avec un tramway et de gros pavés remplaçaient le bitume d’aujourd’hui.

L’Estaque, St André et St Henri étaient majoritairement Kabyles. Pour Haddah le centre ville n’ a été découvert que dans les années 60, en faisant des courses avec son oncle. À la rue Ste Barbe on vendait des produits orientaux, chez les Arméniens.

En 1963, M. Berrebouh demande en mariage la jeune Haddah âgée de 20 ans. De cette union naîtront dix enfants. C’est une demande traditionnelle. Les familles se connaissent. Mme Berrebouh continue d’aller au Lycée, elle aime toujours apprendre.
Le couple déménage pour le Canet, le voisinage est bon, composé d’une mixité communautaire sociale, d’une population méditerranéenne et Africaine.
En septembre 1963, en pleine indépendance d’Algérie, Haddah arrête l’école et travaille comme secrétaire au Consulat d’Algérie de Marseille. Elle découvre le centre ville et le marché des Capucins pour y faire ses courses.

Une année au Canet, puis elle déménage à Palanque, en Haut de la cité de la Martine, quartier Arménien. En décembre 1964 naissance de Nadia née au Cannet, 1965 Djamel à la Busserine, 1968 Yazide à la Palanque .
1970 la famille déménage à Ste Marguerite, naissance de Kamel et en 1972 de Dalila.
Tous les déménagements sont occasionnés par des problèmes de place liés à de nouvelles grossesses. A Ste Marguerite Haddah habite au 5éme étage sans ascenseur.

Septembre 1972 arrivée aux Flamants. 1974 naissances de Karim, 1986 Mehdi, 1981 Akim, et en 1976 la dernière Fatima.
C’est aux Flamants que le militantisme s’officialise sous d’autres formes à travers l’engagement dans les réseaux associatifs. En 1960 déjà, Haddah rendait de nombreux services au Consulat.

Elle s’engage aux conseils de parents d’élèves en primaire et au collège. Elle s’investit au centre social à l’époque de Franck Farink et de Christian Pecci, puis milite sans aucune subvention. Elle organise des sorties, des repas et manifestations culturelles dans son quartier – Soirées Ramadan, Aïd. Le quartier était neuf et beau avec des saules pleureurs et des genêts.

Dans les années 80 les Flamants et les Iris changent, les familles nombreuses y sont légions et il n’y a pas d’aires de jeux.
Le quartier géré par l’O.P.A.C. est laissé à l’abandon.
C’est l’apparition des drogues et des rondes de police derrière les voitures volées. Nous retrouverons Mme Berrebouh dans des associations de bénévoles et parents de toxicomanes pour lutter contre ce fléau, autour de l’accompagnement des familles – Notamment l’association des Amis de l’Espoir.

En 1994, elle fondera l’association Message – prévention délinquance et Sida en direction des jeunes filles. Haddah en est toujours la Vice Présidente.
La même année, elle crée avec d’autres mères de famille, comme Mme Zohra Khelfi une action prévention délinquance et lutte contre la toxicomanie pour les garçons – Energie Jeune, autour d’activités sportives – football –

De 1994 à 1999, actions humanitaires en direction du Burkina Faso. Comme si cela ne suffisait pas, une action de prévention sida sera menée en direction des jeunes Africains.
Elle parcourt les villages du Burkina avec ses médicaments et des préservatifs afin d’informer les jeunes des villages isolés ou des prisons sur les risques de transmission et contagion de la maladie.
Mme Husseini déléguée par le Ministre de la Santé sera l‘interlocuteur du Burkina et Mme Napon de l’Action Sociale coordonneront cette action avec Mme Berrebouh et l’association Energie Jeune durant cinq années.

2000 : Création d’Arc-en-Ciel. Mme Berrebouh travaille autour de projet en direction des femmes et des personnes âgées : accompagnement administratif, repas tous les jeudi midi, sorties culturelles, voyages organisés, activités manuelles (peinture sur bois, verres ou tissus…), Manifestations culturelles (fête du voisin, l’aïd dans la Cité).
Même si la parution au journal officiel date d’avril 2003, la Banque Alimentaire viendra compléter ces prestations et aides en direction des plus démunis, depuis 2009. La demande est croissante.

En 2000 Mme Berrebouh recevra la Légion d’Honneur, puis le 16 mai 2008, l’Ordre du Mérite de la main du Président Nicolas Sarkozy.
Mais ce n’est pas ce qui la motive : seul le mieux être de la population motive Haddah.

Juillet 2010 pendant le mois du Ramadan, un incendie se déclare dans la cage d’escalier du bâtiment 7. Une quarantaine de familles sont à la rue et c’est grâce à la solidarité de l’association et de ses adhérents qu’une chaîne de solidarité se crée autour des victimes de cette tragédie.
Pendant deux mois Mme Berrebouh coordonne l’aide aux familles, soutenue par les commerçants du quartier et ensuite par le cabinet de M.Guerini.

La distribution de repas est quasi quotidienne au local. Des familles y logeront le temps que les pouvoirs publics et le logeur s’organisent. Mais cela ne suffit pas, une braderie est organisée afin de recueillir des habits pour les sinistrés. Il faut trier, laver et repasser avant de distribuer.
Toutes ces attentions ont donné à Arc-en-Ciel sa crédibilité auprès de la population des Flamants.

Aujourd’hui c’est à Arc-en-Ciel qu’Haddah continue la mission qu’elle s’est fixée, l’accueil y est quotidien.
Mme Berrebouh descend de son appartement du 6ème au 1er étage local de l’association,   afin de recevoir le public avec qui elle a tissé des liens.

Toutes les semaines, on peut se restaurer, les jeudis à midi pour 4€ seulement, pour les personnes âgées, mais les repas sont ouverts à tout le monde. Il n’est pas rare de rencontrer les étudiants de l’IRTS ou encore des travailleurs sociaux du quartier.

Il suffit de téléphoner pour réserver avant 10 heures le matin ou mieux la veille. Tel : 04 91 42 72 49 ou 06 87 36 77 43

Le soutien aux familles ne cesse de croître, plus de 150 familles en 2012 et les urgences, deux à trois familles par jour.
Un colis provenant de la Banque Alimentaire, deux fois par mois est remis par les bénévoles d’Arc en ciel aux familles.
Le soutien administratif est possible tous les jours de 9h à 12h30 et de 13h30 à 19h.

La précarité sur le quartier dans un contexte de crise est bien présente. L’association ne fonctionne qu’avec des bénévoles.
Pour ces femmes courages rien n’est impossible. Les voyages sont à leurs charges (   Turquie, Maroc, Tunisie, Espagne Italie…) ou les sorties à la journée (Notre Dame de la Garde, le Frioul, la Fontaine du Vaucluse, le marché de Toulon, le marché de Nîmes …).

Rien ne les arrête, de dix à vingt personnes selon les lieux, les trajets en trains, cars ou avions. Il suffit de peu de choses pour que les mamans se sentent bien. Le snack en face du bât 6 les ravit. Seules, elles n’iraient pas. En groupe cela aune autre dimension. L’union fait la force.
L’association et son lien social font partie de la vie des flamants.

40 années dans le quartier, Mme Berrebouh ne s’y sent pas plus en insécurité qu’avant, après des épisodes tragiques de décès de la génération des quarante-cinq ans, dans les années 80 et 90.