Dominique N’Gonga

« De Gaulle sinon rien »

Dominique N’Gonga est né le 3 mars 1914 à Bamena au Cameroun.
Son grand père, chef de tribu, avait 13 femmes. Chacune d’elles avait hérité d’un village.
Le père de Dominique est un notable de l’ethnie Bamiléké, chef de village à Bafaso.
N’Gonga signifie dans la langue du pays le « Sonneur de Cloches ».
Vers l’âge de 16 ans Dominique quitte le confort familial pour découvrir Yaoundé chez une famille éloignée. Puis il travaille dans une Cie Maritime, ce qui lui permet de faire des voyages internationaux entre le Cameroun, différents pays et continents.
Il découvre différentes langues (Anglais, Chinois, Créole, Arabe, Espagnol, Italien Grec…,) qu’il pratique plus ou moins.
De retour au pays, c’est la déclaration de guerre en France et il découvre son ordre de mobilisation. Il s’engage dans la Marine Nationale et continue son métier de cuisinier. Dominique a fait la campagne en Algérie – jusqu’au traité de Vichy -, puis autour du Bassin Méditerranéen.

A Toulon la flotte française saborde ses bateaux afin de ne pas participer à la politique Franco-Allemande. Dominique a la chance de ne pas être à quai en France.
Le commandant et son équipage décident de répondre à l’appel du Général de Gaulle : direction l’Angleterre. Il se fait remobiliser. Dissident engagé, il participe à des opérations militaires avec la marine anglaise jusqu’à l’appel du 18 juin 1940.

Le débarquement de Normandie : 6 juin 1944

Avec les Alliés, Dominique contribue à la libération des côtes françaises.
Ils passent par l’Aude et la Garonne, jusqu’au village de Tourouzelle. Ils libèrent le village et le foyer de religieuses.
Dominique rencontre Geneviève Badji, qui est issue d’une famille paysanne. Elle aussi a un parcours singulier. Sa mère est de la région. Elle perd son époux pendant la première Guerre. Elle a eu trois enfants avec un tirailleur sénégalais qui est resté après la Guerre de 14/18 dans la Région pour y travailler. Ce dernier décèdera à la suite de l’inhalation des gaz chimiques utilisés pendant la guerre.
Geneviève suit une éducation religieuse prodiguée par les sœurs en internat. Elle retournait chez sa mère pour les vacances scolaires.

La France était occupée….

Le débarquement de Provence

Le débarquement du sud de la France avait pour but d’appuyer les troupes débarquées en Normandie et de prendre les Allemands en tenaille. Cela aurait eu pour effet d’ouvrir deux fronts en France et de disperser les troupes blindées allemandes. De Lattre arriva avec la Première Armée française (Armée B).

Le 15 août 1944, les alliés débarquèrent en Provence (l’opération fut baptisée Anvil, puis renommée Dragoon). Il s’agissait d’obliger les allemands à combattre sur deux fronts.

Les deux opérations – Normandie et Provence – auraient dû avoir lieu le même jour. Mais les Alliés manquaient de barges de débarquement. Beaucoup de celles du 6 juin 1944 resservirent le 15 août sur les plages du Midi.

Engagé en tant que militaire, Dominique continue sa mission et descend avec son régiment jusqu’à Marseille. Il participe à la libération de Marseille (23-28 août).
La jonction avec les troupes venues du Nord-Ouest se réalisa le 12 septembre 1944 à Langres.

Désormais il appartient aux F.F.L. Il y restera jusqu’à la fin de son engagement.
Par la suite, il s’engagera dans la garde prétorienne du Général : le S.A.C. Il a toujours le statut de militaire dans la Marine Nationale.

Entre temps, Geneviève descend de Paris où elle aura deux enfants. Elle vient à Marseille rejoindre Yvonne sa sœur et retrouver Dominique.
Elle l’épouse en 1955.
Ils vivent à la Grotte Rolland pendant plusieurs années avec leurs 2 enfants. Dominique est gardien du château de la Comtesse Pastré.
Puis ils déménagent à la Cayole.
M. Gonga est remobilisé pour la guerre d’Algérie en 1955.
Il est détenteur de la Médaille Commémorative des services volontaires dans la France Libre et de la Croix du Combattant.

Dominique se retrouve dans la Marine Marchande, en tant que cuisinier. Il a travaillé sur les prestigieux paquebots : « France » et « Normandie ».

Geneviève descend de Paris où elle aura deux enfants : Fabienne et André. Naissent en 1958 Jean, en 1963 Marie-Yves, en 1964 Patrick.

Marie Yves se souvient : elle est née à la Maison blanche

« Il n’y avait que des Européens et une très faible population d’origine d’Afrique Noire ou du Nord . Mon père recevait beaucoup de gens du pays.
Il était reconnu par tous ses voisins pour sa générosité. Tout ce qui touchait à l’Éducation l’intéressait, il avait le contact facile. L’appartement était trop petit. »

Geneviève et Dominique quittent le Canet pour les nouveaux appartements de St Barthélemy III.

Les 2 aînés se marient. Les trois plus jeunes auront chacun leur chambre.

L’immeuble était neuf. Il y avait cinq familles sur St Barthélemy III.
L’école primaire du Mail – Emile Vayssière – n’était pas encore finie. Les enfants allaient à l’école dans les ALGECO situées sur la colline, à la place de Carrefour le Merlan.
Marie Yves se souvient des premières sorties du quartier organisées par Françoise Ega.

En 1969 M. N’Gonga prend sa retraite suite à une pneumonie contractée sur les bateaux.
Geneviève, femme de ménage à la Cie Fruitière, a toujours eu une passion pour les plantes vu ses origines paysannes. Elle a toujours rêvé d’avoir une maison avec un jardin.
Elle obtient même, une année, le prix du jury lors du concours des balcons fleuris.
Dominique préparait de bons petits plats à la maison pour ses enfants et les voisins, d’aucuns se souviennent de ses immenses quiches baveuses.

Dans les Années 1970 c’est l’âge d’or. Dominique, bon vivant, aimait réunir toute la famille les dimanches ou encore partager le verre de l’amitié avec ceux qui le souhaitaient.

Les familles se côtoyaient régulièrement. Les hommes échangeaient sur leurs guerres et les enfants découvraient leurs premières amours made in Busserine.

Témoignage de Jean-Pierre Ega

L’image que je garde de cet homme, l’ayant connu adolescent, est celui d’un personnage singulier.
Du haut de mes quatorze ans, je me souviens d’un colosse de presque deux mètres, avec un ventre imposant, une voix roque et voilée, un rire grave qui raisonne encore dans ma mémoire.
Pour parfaire ce personnage Fellinien, un visage ciselé pareil à un masque africain, chemise blanche, cravate, complet sombre gris ou noir et un chapeau à la « Eliot Ness » en guise de couvre-chef. L’été un canotier élégant remplaçait le chapeau version hiver.
C’était notre Afro à l’allure Américaine. D’autant que les représentants de la communauté noire à la Busserine étaient peu nombreux : M. N’Diaye, M. et Mme Chambel, M. Luciathe, la famille Ega.

Quand arrivait le 14 juillet, un immense drapeau bleu blanc rouge arborait le balcon de la fenêtre de M. Gonga.
Cela alimentait nos rires d’adolescents et nous ne ménagions pas son fils Jean qui était notre ami.
Je me souviens, par commodité, nous avions retiré les particules qui ne nous venaient pas naturellement (et culturellement) dans la discussion. Il n’y avait plus de M. N’Gonga ou M. N’Diaye, mais Jean Gonga et Henry Diaye, nos amis Marseillais de la Busserine notre village.

Dans ce quartier cosmopolite des années 70, la notion de ghetto n’était pas d’actualité, je dirais même que cela aurait été erroné.

M. Gonga ne cachait pas sa dévotion pour le Général, bien au contraire il la revendiquait.
Lors des conversations fortuites que notre groupe d’adolescents entamait avec lui, et il ne fallait surtout pas manifester l’ombre d’une désapprobation, ou il nous en cuisait.
De même si par malheur le groupe s’agitait bruyamment dans la cage d’escalier, la voix de Dominique tonnait dans le couloir. S’en suivait la poudre d’escampette générale.
Son franc parlé et ses positions parfois radicales faisaient partie du personnage.

En privé, M. Gonga était un homme chaleureux qui donnait, sans demander à personne, son avis sur notre éducation. Il aimait aussi la bonne chère. Son allure impressionnante en témoignait.

Je me souviens, étant le cousin d’adoption de la famille, des assiettes de frites avec des biftecks débordant de générosité que nous ne pouvions pas finir, et du père Gonga qui les remplissait. Dès qu’elles paraissaient se vider Geneviève surenchérissait : « ce n’est rien, mange… ».

Plus tard, jeune adulte, autour d’un apéritif j’écoutais Dominique évoquer parfois dans un anglais populaire les souvenirs de ses campagnes militaires.

Tant de positions généreuses chez ce papa qui semble aujourd’hui appartenir à une autre époque. Celle où il n’y n’avait pas de place pour les faux-semblants, où la gestion de la cité était l’affaire de tous, où le respect et la dévotion pour ceux qui ont conduit à la liberté de la France allaient de soi.

Ce couple hors du commun a écrit avec d’autres (M. Tir, M. Luciathe, Mme. Chambel, M. Lippi, Mme Vinotti, Mme Tarragonnet, Mme et M.Ega …) une page de la vie de notre quartier, que j’emporte précieusement et n’échangerai pas avec la vie du quartier d’aujourd’hui pour rien au monde.

Vous faites avec votre épouse Geneviève, partie de l’histoire de ma vie. Je partage avec vos enfants des « moments d’éternité » et une étrange intimité, teintée de tendresse … Pour cela je vous dis simplement merci…