Ali Mogni

« Ali le sage »

Ali Martiniky, journaliste reporteur d’image à Média 2, militant associatif à l’origine du mouvement associatif de la Jeunesse Comorienne « Ushababii », nous parle d’Ali Mogni, ce jeune homme d’origine Comorienne, décédé le 30 juin 2009 avec sa mère et sa sœur, dans le crash de l’avion.

Mais ce n’est pas à travers ce drame que nous nous arrêtons sur ce personnage hors du commun, mais plutôt parce qu’il y a un vide, un manque incommensurable dans la jeunesse Marseillaise, celle d’Ushababi mais aussi celle du hip hop Marseillais.

Qui est « ALIMERO » (nom qu’il a choisi sur son blog alimero-zik).

Ali Martiniky et Alimero habitaient le même bâtiment dans les quartiers Nord de Marseille, aux Iris bât n° 27 – le premier au 4éme, le second au 2éme. Ali fréquente les mêmes écoles, primaire et coranique que le grand frère d’Alimero, Ibrahim. Ali a connu AL à l’âge de quatre ans, lui en avait dix.
Ses liens se sont renforcés avec la création de l’association Basters en 1996.
AL ou Alimo fait partie des meneurs et crée le groupe de rap Section Fidjo ce qui signifie en comorien « état d’esprit festif, ambiance ».
Ce groupe a pour volonté de casser l’image négative des rappeurs et fait le choix de parler du vivre ensemble, de la solidarité.
C’est à partir de là qu’AL devient une figure importante du groupe, un leader incontournable de la Section Fidjo. AL est un peu le grand frère de ces jeunes pré-adolescents dont il est l’aîné d’une dizaine d’années.
Alimero a un brevet de technicien d’emballage et a préparé un bac STI au Lycée Diderot en Génie Civil. Puis il effectuera une première année de psychologie.

1997 /1998 : participation à la Guinguette et à Festi jeunes.
AL est bénévole de l’organisation des Basters, très discret mais très impliqué. Il a un réel talent de compositeur qui commence à être reconnu de tous. C’est un amateur très éclectique de toutes les tendances musicales.

ALI un créatif en herbe

2002 : animateur né, de terrain et non diplômé, Al choisit la culture pour mettre en pratique son savoir-faire et sa technicité.
Evoluant en même temps que l’association Basters, Al est dans toutes les stratégies et concepts. On sentait derrière sa discrétion et sa capacité à garder de la distance, une force de proposition. Il se révèle être un créatif en herbe.

2002 : fin du Marathon Hip-Hop.
Les Basters s’essoufflent. L’idée de la relève est posée. Les choses changent, il faut passer à autre chose.

La Nouvelle génération – ALAFOU

2006 ALAFOU. C’est un tournant

Menée par AL, la nouvelle génération crée l’association ALAFOU au nom évocateur qui signifie : « Et après / Et la suite ».
AL fait preuve de rigueur dans tout ce qu’il entreprend. Il joue au basket, il court régulièrement au parc de Font Obscure. Al veut à travers d’ALAFOU, garder deux pôles : les débutants (les tous petits) et les professionnels. Ceci se finalisera après sa disparition.
Les nouveaux bâtiments à la cité des Flamants accueillent ALAFOU, dans les locaux de l’association Média 2.

Triste réalité

Ali et Alimo étaient ensemble la veille du départ pour les Comores. Cela faisait longtemps qu’il n’y était pas allé. Al n’était pas très emballé, car il avait des projets par rapport aux jeunes (CD, Studio…). Il avait hâte de revenir pour conclure tout cela.
Depuis cet accident en juin 2009, sa créativité, son sens critique et sa générosité manquent à tous, même à Ali son aîné.
Ali se souvient de cette force tranquille dont AL était habité. A chaque projet Al était là pour valider avec son regard artistique très aigu.

Ali Martiniky fait passer avec pudeur une émotion quand il évoque avec respect ce qu’il retient d’Alimero. « C’était un visionnaire malgré son âge, talentueux, passionné et ambitieux pour les autres. Ce n’est pas quelqu’un qui dit non, il y a toujours une réponse chez lui. »

Alimero le pratiquant était pétri de cette éducation musulmane tout en modération. Il en avait retiré une grande humilité, un respect pour les anciens et un sens de l’écoute. Son corps a été inhumé dans la terre de ses ancêtres, en novembre 2009 avec celui de Roukia, sa sœur aînée.

« On est au Dôme avec Ali »

Un hommage lui a été rendu le 23 Janvier 2010 au Dôme de Marseille, avec toute la jeunesse des Comores de la cité Phocéenne et aussi celle du rap Marseillais.

Au lendemain du crash, cinquante bénévoles de 16 à 35 ans se retrouvent spontanément autour de la mémoire d’Ali pour créer « Ushababi ».

Sagaf, étudiant en 4ème année à la Faculté de Lettres d’Aix-en-Provence, a bien connu Al puisqu’il a été d’abord l’accompagnateur puis l’ami. Sagaf est aussi un jeune rappeur marseillais qui a produit un CD, sorti le 18 mai 2009 – Bonjour chez vous – que l’on peut trouver dans les réseaux de diffusions classiques (Internet, FNAC- Virgin…).

Ils se sont connus aux Iris, à l’école coranique. Sagaf faisait partie des benjamins. AL écoutait beaucoup de musique, il avait 16 ans et Sagaf 10 ans.
Il se souvient de son mentor : « il m’a suivi tout au long de l’aventure Section Fidgio, il faisait des répétitions chez lui et encadrait les prestations scéniques et vocales du groupe ».

1996 /1999 / c’est l’époque des petits projets.

2000 à 2006 / Al devient le manager, le DJ du groupe et l’ami.

2006 : ils sont tout le temps ensemble et décident de monter ALAFOU, avec le soutien d’Hélène Mille. C’est un regard sur l’avenir.
ALAFOU c’est aussi une autre interprétation possible, « à la Fada » comme on dit à Marseille, précisera Ibrahim Mogni (le frère d’AL), produit par cette même structure.
C’est en quelque sorte « produire nos sons sans tenir compte du quand dira-t-on… ».
C’est la suite logique de Section FIDGIO avec un véritable projet d’accompagnement – Management et production – sans l’apport financier.

2006 : c’est le moment où AL crée ses propres productions, mais aussi l’année qui scelle leur amitié. Il travaille en vue de la sortie du maxi « bonjour chez vous ». Al fait toutes les compositions musicales et interprète les refrains.

ALAFOU qui tente d’accompagner les petits talents du quartier et de tirer leurs pratiques vers le haut, produit Ibrahim, Kyliana, Sagaf et Alimero, avec une reconnaissance dans tout l’univers Marseillais. AL est une figure en devenir du rap et un incontournable du 14éme arr. C’est la même génération que Puissance Nord et Rue 14.

AL est un peu le grand frère de tous les jeunes et l’enfant de tous les parents.

AL est une personne qui rassemble, à l’écoute, serviable, humble, modeste, très talentueux, disponible, avec beaucoup d’humour. « C’est aussi un avant-gardiste », tient à souligner Sagaf.

Abdel Bitallah, 13 ans, collégien en classe de 5éme à Pytheas, confirme de son jeune âge le témoignage de ses aînés. Lui aussi rap depuis deux ans et a rencontré AL.

Abdel rappe avec Daouda et a pour partenaire Akim. Leur nom de scène est N et N (Nano et N’zo). Abdel avait déjà entendu chanter Al et Sagaf puis il y a peu de temps, quatre jours avant le drame, il a fait un « son » avec lui. Abdel est intervenu dans un titre d’Alimero au niveau du refrain.

Abdel parle dans son rap du quartier, de ses rêves, de la vie. Il a déjà une trentaine de titres, mais pour lui aussi les choses ne sont plus pareilles.
AL le grand frère, l’animateur, le techno, celui qui chantait bien et qui ouvrait tous les jours le Bt 7 n’est plus là.
Celui qui arrivait de répondre à toutes les demandes. Al le généreux, qui savait marquer son monde par sa disponibilité de son vivant et faire l’unanimité l’est toujours et sans rajout, malgré l’absence.
Depuis son décès, il y a moins de projet au B7, malgré la volonté de ceux qui demeurent. Le manque est bien présent.

Ibrahim Mogni est le grand frère d’Ali, il précise que tous ces surnoms (AL, Alimo, Alimero) identifiaient son petit frère en tant que compositeur et le différenciaient des nombreux Ali de la communauté.
Ibrahim a 31 ans et depuis 7 ans vit à Paris. Il redescend régulièrement à Marseille pour voir sa famille mais aussi pour sa carrière musicale. Al son frère était son producteur et le compositeur musical.
En 2005 il a entamé une carrière solo : « je me suis retourné vers mon frère spontanément, il avait une culture musicale très éclectique. Il était question de grandir artistiquement ensemble tout en gardant chacun sa spécificité. »

L’héritage d’Alimero

Respecter l’identité artistique propre de chacun tout en évoluant ensemble, c’est en fait le concept ALAFOU, sans se prendre la tête.

Mais le vide du petit frère se fait également ressentir. Ils partageaient la même passion. Leur relation était en fait très harmonieuse depuis leur majorité.
Al était très intelligent, observateur, il savait tirer des leçons et s’adapter à l’environnement et ses contraintes.
Faisant preuve d’une grande cohésion, rien ne se passait avec heurts, il savait tenir compte de l’opinion des autres. Très pudique, il était quand même l’initiateur d’ALAFOU.

(Saïd) Nadjo témoigne : « On avait le même âge mais j’avais l’impression qu’il était plus mature que moi, qu’il était en avance. Il savait anticiper les choses avec un regard ouvert sur le monde. »

« Il manque la courroie de distribution, le moteur est là mais il va falloir trouver la force de se remobiliser, c’est un long parcours du combattant pour retrouver cette synergie… L’espoir et l’aide de Dieu feront le reste. »

Ibrahim le compositeur traduit avec force, usant de métaphores, son affection et l’absence d’Ali.
« Au moment où il commençait à déployer ses ailes, à s’assumer artistiquement, il a été frappé par le destin. Il a laissé les traces matérielles de son regard artistique. ALAFOU est là et restera en mémoire d’ALI ».

Ibrahim est en standby, attendant le projet, qui comme savait le faire AL, fédérera.