Mémoire de la population
Portraits d'habitants
Roseline Ramic
La discrétion est une vertu : « Il faut rester soi-même »
Arrivée dans le quartier de sa maman, elle croise une jeune fille et lui demande l’adresse de sa mère. La jeune fille s’exécute et lui dit être sa cousine.
Roseline vit avec sa maman la journée, quand celle-ci ne travaille pas, et chez sa tante la nuit pour dormir. C’est à cette époque qu’elle rencontre Alain, 23 ans. Après 18 mois d’armée, il vient de terminer son service militaire. Bachelier, il travaille dans une imprimerie en tant que relieur.
Alain a une sœur en France à Marseille, Rosy commence ses premiers balbutiements dans le social. Elle occupe un local que la Mairie met à sa disposition gratuitement pour s’occuper de personnes âgées (sorties culturelles, jeux échecs, cartes, aide administrative…).
Rosy découvre Marseille lorsque son fils a six mois. C’est son premier voyage. Elle a le coup de foudre pour la cité phocéenne. Une immigration ne s’envisageait pas pour elle à cette époque.
Mars 1973 : le couple quitte Sarajevo car Adnan a des problèmes de santé : convulsions et perte de l’usage de la parole. Il lui faut l’air marin pour sa guérison, et la mer est à 300 Km (de Sarajevo / Dubrovnik).
Ils arrivent à Marseille, malgré une vie confortable en Yougoslavie. Sarajevo est une ville Culturelle et très touristique à cette époque.
Décembre 1973 : naissance d’Alisa.
1977 : La Bussserine
La typologie du quartier ne dérange pas le couple puisque Alain est musulman, non-pratiquant, mais il a grandi dans la culture musulmane.
Le quartier est agréable, avec beaucoup de petits commerces (une COOP, un casino au pied de l’immeuble, un centre commercial, deux collèges …).
Malgré ses difficultés en langue française, Rosy s’adapte à son rythme, elle n’a pas de difficultés relationnelles avec la population locale.
La mère de Roselyne est musulmane, son père de confession chrétienne non pratiquant, Alain son époux est musulman non pratiquant.
Rosy sympathise avec ses voisines Mme Meguenni, Mme Rachid, tout naturellement. Les enfants vont dans les écoles du quartier. Adnan retrouve l’usage de la parole et n’a plus de traitement. Il est guéri, le voyage a été bénéfique.
Alain apprend le métier de pâtissier-chocolatier-glacier, sur le tas. Rosy ne maîtrise pas la langue, le mari suit des cours de français. Il a toujours été sensible à la culture française puisque l’apprentissage de cette langue a débuté bien avant le voyage en France.
Après un an 1/2 de galère, Rosy trouve les Marseillais très affables et enclins à l’aider pour l’apprentissage de la langue. Au marché Rosy montre les articles et les notes sur un carnet en phonétique Yougoslave. La télévision jouera également son rôle d’intégration. Rosy se souvient « d’aujourd’hui Madame » cette émission qu’elle suivait quotidiennement.
1977/ 1992 : Rosy élève ses enfants. Elle obtient sa naturalisation Française en 1981 après deux années d’attente.
1981 : naissance de Stéphanie la 3ème.
1982 : Rosy travaille à la cafétéria de Carrefour,
1987 : en mars, Rosy a un accident de travail qui met fin à son activité professionnelle. Elle sera reconnue travailleuse handicapée.
Durant toutes ces années, Rosy tisse des liens avec la population du quartier, avec laquelle elle n’a pas d’à priori.
1992 : guerre à Sarajevo.
C’est une guerre politique et religieuse. Roseline n’a pas vraiment compris pourquoi toutes ces ethnies – Croates, Serbes Monténégrins, Bosniaques, Macédoniens – se battent… Pour elle tout cela ne se justifiait pas : « je n’aime pas la politique, cela n’amène que des problèmes et des divisions. ».
1992 rencontre avec Schebba
Rosy entreprend une formation d’une durée de six mois avec le GRETA au Collège Pythéas, afin de lui permettre de maîtriser la langue. Sénégalais, Libanais, Turcs, Italiens, Comoriens, forment le public bénéficiaire de cette remise à niveau. Rosy est très à l’aise avec les chiffres. A l’issue de cette formation, elle trouve un stage à Schebba.
Elle rencontre à Schebba beaucoup de bénévoles.
Après quatre années d’apprentissage Rosy a une proposition d’embauche.
1996 : contrats C.E.S – 20 H. (contrat emploi solidarité) à Schebba. Son poste lui permet une polyvalence autour de l’accueil, de la cuisine, de l’entretien…
1999 : contrat C.E.C. (contrat emploi consolidé) : Roseline est responsable de l’accueil des femmes , de la gestion du budget de la cuisine, de la caisse de l’activité coiffure, et de la gestion courante des entrées-sorties.
2002 : en mars, il n’y a plus de possibilité de renouvellement de contrat et ce jusqu’en décembre 2002.
Roseline renforce ses acquis et suit les cours d’alphabétisation à Schebba, elle dit reconnaître à travers cette expérience personnelle de primo arrivante l’utilité et les bienfaits de cette activité. Rosy fréquente toujours Schebba en tant qu’adhérente. Elle garde un grand respect pour le public qui le lui rend bien.
Décembre 2002 : C.A .R (Contrat d’Adulte Relais). C’est un poste autour de la Médiation à Schebba. Très investie dans sa mission, elle est curieuse, attentionnée et ouverte aux personnes.
Au Bât G3, Rosy devient une référence au niveau des relations humaines. Elle garde pour elle des secrets. Elle est également un rouage essentiel de l’association. Elle aime les gens et donne sans compter. Rosy a accès à la vie privée et aux problèmes les plus sensibles des familles. C’est elle aussi qui a la charge des colis des personnes âgées. Elle donne bien au-delà de son temps.
Farid du Comité Mam’EGA souligne sa rigueur et son professionnalisme
2002 à 2010 : de nouvelles responsabilités dans un contexte de crise sociale. Elle est responsable à Schebba St Barthélémy qui comprend cinq salariés, trois pôles (accueil, coordination, administration et juridique), six activités (cuisine, seniors, atelier couture, esthétique, alphabétisation, coiffure).
Roselyne a travaillé 14 ans à Schebba. Elle semble vouloir mettre l’accent sur cette rencontre essentielle pour elle, comme pour les centaines de salariés ou vacataires qui ont croisé cette structure associative.
Ironie du sort : Roseline l’interprète
Si cela ne se prolonge pas ce n’est pas grave, je remercie Schebba, j’espère qu’ils sont contents de moi. J’ai beaucoup de contact avec les habitants en dehors de mon travail, j’ai construit ma vie. Je suis contente. Je suis mère de trois enfants et grand-mère de six petits-enfants ».
Fatima Ould Kadour, directrice de l’association SCHEBBA
Elle a connu Rosy quand elle était mariée et habitait à la tour Q au bâtiment M en 1981, en tant que voisine, puis à travers les cours d’alphabétisation en 1999. À cette époque, la relation s’installe et Fatima propose à travers l’embauche de Rosy une ouverture sur les autres communautés. Fatima prend connaissance du sérieux de la salariée et de son savoir-faire.
Roseline gagne le respect du personnel de Schebba avec qui elle a de très bons contacts. Elle est estimée par tous pour son humanité et son sérieux.
Sa personnalité a créé une estime, car elle est franche, impartiale, fidèle, reconnaissante. Rosy a de bonnes relations avec toutes les communautés. Ces dernières années avec l’arrivée des nouvelles communautés des Pays de l’Est : Turcs, Kurdes, Kosovar, Serbes, Bosniaques…, Rosy joue en plus un rôle d’interprète et sert de traductrice pour le suivi des familles. Elle sert de médiation entre la justice et l’association. Rosy est un élément moteur de Schebba.
Avec le temps, la relation a évolué, nous sommes devenues amies. Nos maris se fréquentent et se respectent. Les mots qui définissent Roseline sont : Confiance, sérieux, respect, professionnalisme, estime, disponibilité