Il s’appelle Kassim il a 29 ans. Il a trois frères et quatre sœurs.

Kassim est d’origine Comorienne. Les parents : la mère née en 51 (63 ans) et le père en 54 (60 ans). Il a 3 grands frères et deux grandes sœurs au-dessus de lui puis derrière lui il a deux petites sœurs.
Il est né à la Réunion et est arrivé en France Métropolitaine en 1989 /1990. Le papa tenait un bar puis travaillait dans le bâtiment, aujourd’hui il travaille dans la restauration dans la Capitale, la mère est femme au foyer et exerce plusieurs petits boulots au black.

Kassim a grandi à la réunion et est venu en France à l’âge de 6 ou 7 ans. C’est à cette période que ses parents divorcent. Il a effectué sa scolarité à St Lazare puis à la Belle de Mai dans le 3ème arrondissement, à Claire Soleil dans le 14ème arrondissement, et au Châtelier. Avec une formation en restauration, il part à l’âge de 15 ans travailler à St Tropez. Il y reste 4 ans, travaille en temps qu’aide-serveur, plongeur, puis devient second chef.

Quand on demande à Kassim à partir de quel âge il a connu un parcours marginal, il sourit et me demande : « qu’est ce que cela veut dire marginal… ?» Comme ci cette réalité multiple ne semble être une situation borderline que pour une certaine partie de la population. Nous reformulons la question  :  « Qu’as-tu fait d’illicite ? »

J’ai fait comme tous les jeunes de France quand tu es délaissé par le système … j’arrondissais les fins de mois, petits vols et à la majorité deal, je vendais quelques barrettes de cannabis (shit). Kassim explique que durant cette période de sa vie de retour à Marseille sans diplôme, à part le brevet des collèges il avait peu de perspective d’autonomie financière.

Il a son premier fils à l’âge de 19 ans et gagne à Saint-Tropez deux mille euros, mais de retour ici avec la mère de son fils la situation se complique. À la maison il ne reste que ces deux petites sœurs et sa mère. Le manque de réseau et de diplôme ne convaint pas les employeurs potentiels incrédules qui tentent de l’exploiter faisant fis de son expérience tropézienne.

Kassim ne justifie pas son engagement marginal par une situation économique désastreuse, il dit que ce n’est pas par nécessité, mais c’était la seule opportunité qui se présentait à lui, en dehors du travail. Au début c’était quand même pour des besoins familiaux : soutenir la famille et l’entourage . Puis on s’habitue à l’argent facile et cela devient un confort de vie, la facilité, la luxure, les sorties, les vêtements, la voiture … il a poursuivi cette activité jusqu’à l’âge de 22 / 23ans.

C : Qu’elles étaient tes limites dans cette vie facile, qu’est-ce que tu t’autorisais à faire et ne pas faire par rapport à ton éducation, tes valeurs :

K : « A la base je suis de confession musulmane même si je ne pratique pas comme mes parents. Il y a beaucoup de choses qui me bloquaient, mais il y a quand même des éléments pour lesquels je passais outre.
Ce que je ne devais pas faire :
ne jamais enlever la vie à quelqu’un
ne jamais voler les plus démunis (cambriolage ou agression) …
Je mettais la morale dans ma poche et s’il fallait cogner je le faisais sans raison… La rue c’est la loi de la jungle, pas pour prouver que j’étais capable, car je suis un homme de parole et je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas.»

C : Tu compares son activité à celle d’une entreprise… ?

K : C’est par la force des choses : quand vous êtes dans une entreprise vous êtes obligé de connaître tout le monde, quand vous n’aimez pas quelqu’un vous le lui montrez parfois, vous faites des choses par obligation, vous devez vous adapter. Si vous êtes en guerre avec le chef, vous ne pouvez pas le lui montrer sinon vous n’irez pas très loin, sinon c’est la guerre. On doit faire ses preuves. La violence il faut l’imposer, si vous vous ne faites pas violence on va venir vous faire violence …

C : Violence envers qui ?

K : Avec du recul je dirais maintenant envers moi-même, violence envers les gens du même milieu, du même business … Cela n’était jamais en dehors de ce contexte-là.

C : As tu déjà eu affaire à la police ?

K : Comme tout le monde (il sourit puis poursuit)Comme beaucoup de jeunes à Marseille on va dire, ma première affaire je l’ai eu à l’âge de treize ans : on avait cambriolé une école, on avait volé les sous de la coopérative, des pains au chocolat et des pizzas qui se trouvaient dans le congélateur de l’école. C’était plus pour le fun que par nécessité.
Malgré la pauvreté qu’il y a dans nos quartiers, dans nos familles on a toujours mangé à notre faim, on n’a jamais manqué de rien et on est toujours partis à l’école habillés correctement.

C : Le deal a-t-il été pour toi une nécessité ?

K : Il faut comprendre le contexte dans lequel cela s’est fait : au début je faisais mes petits délits pour le fun, puis en 2004/2005 quand je suis revenu de Saint-Tropez, Marseille s’était appauvri, la crise sociale commençait à avoir des répercutions dans les quartiers… Pas de travail à l’extérieur. A la maison on a toujours vécu dignement, mais avec de petits moyens, il n’était pas toujours facile de joindre les deux bouts.
Nous les jeunes de France on a grandi avec des modèles Américains (Le Rap, Tupac, 50 cent), en gros on a commencé à avoir des besoins qui n’en n’étaient pas vraiment. La société de consommation nous influençait lourdement.
Vouloir de nouvelles paires de baskets tous les mois, changer de vêtements tous les jours, vouloir vire dans un T6 à trois… Toujours eu des envies sociétales et non familiales alors que dans notre religion on a appris à vivre et faire avec ce que l’on a, le strict nécessaire et pas le superflu.
Avec du recul je prends conscience de tout ce que l’on faisait : dealer, voler, braquer… C’était uniquement pour le superflu et pas par nécessité absolue. On mangeait à notre faim et nous étions correctement habillés, mais il y avait l’influence de la société de consommation.

C : As tu eu d’autres incidents avec la Justice ?

K : La première peine, la juge avait vu qu’il n’y avait pas eu de casse, dégradation de violence donc j’ai eu du sursis, c’était vraiment des conneries d’enfants, voler des pains aux chocolats.
En 2005, à l’âge de 2O ans j’ai été arrêté pour possession de stupéfiants (l’équivalent d’un loyer, 300€ en barrettes), conduite sans permis et outrage à agent. J’ai purgé huit mois de prison ferme et dix-huit mois de sursis.
En 2006 j’ai fait un court séjour de trois jours, je ne me rappelle plus pourquoi…
Et en 2007 J’ai fait deux ans de prison. Problème lié à ma relation avec la mère de mon premier enfant.

C : Penses-tu être sorti à ce jour de la délinquance, du deal ?

K : Ah oui ! Sorti de la délinquance de rue oui, ça, c’est fini depuis 2007 … non 2009 puisque j’ai été incarcéré. Parce qu’on a grandi, parce que  j’ai eu le temps de réfléchir. On se remet en question et on se rend compte de tout ce que l’on faisait : deal braquage… vente de shits…

C : Tu as déjà braqué ?

K : Oui

C : Tu as braqué quoi ?

K : Pompe(s) à essence et bijouterie(s).

C : Tu t’es fait attraper ?

K : Non … et à la fin on se rend compte, je ne sais pas si c’est la maturité qui fait ça … que cela ne valait pas la peine de manger autant d’années de prison et que c’était des faux besoins.
À ce jour j’ai trois garçons : 10 ans, 4 ans et un an et demi, maintenant tout a changé.

C : Qu’est ce que cette expérience-là (la rue, le deal, l’argent facile..) t’as appris?

K : L’argent facile ne m’a rien appris, au contraire cela m’a encore plus mis dans la merde…
La rue, c’est paradoxal d’un côté, cela m’a appris beaucoup de chose et cela ne m’a rien appris en même temps. Cela m’a appris a respecter tout le monde, c’est une chose que la rue vous apprend, car si vous ne respectez personne dans la rue, c’est pas comme à la maison : soit vous finissez dans une cave ou dans un coffre, soit vous finissez je ne sais pas où…
La rue c’est pas sympa, c’est pas l’école ni le monde des bisounours…
Cela m’a appris beaucoup à être dur de choses qui m’ont forgé et forcé à être un homme, cela m’a appris à endurer… Sinon la rue cela n’a rien à voir avec moi, c’est que du mauvais.

C : Que penses-tu de tous ces drames, ces assassinats qui touchent les jeunes de ta génération?

…. Rires confus …

K : je rigole, mais c’est triste … c’est les règles du jeu on va dire.

C : Cela te paraît normal, est-ce cette fatalité, est-ce à dire que ces chemins-là mènent forcément jusque là ?

K : C’est devenu une fatalité, avant il y avait plus de moral, les choses étaient différentes, les gens étaient plus cultivés, il y avait la famille, des valeurs, plus de soutien, ce qui fait que même si les gens étaient un peu marginaux, un peu « foufou » ils avaient quand même une logique. L’État a sabordé l’autorité du père et de la mère…

C : L’Etat …comment cela ?

K : Le fait d’interdire sous peine de sanctions ou de prison et d’amende de 500 €, que le père puisse attribuer une correction à son enfant… le fait même de donner des contraintes trop nombreuses aux familles ne tenant pas compte des différences culturelles des uns ou des autres : comment allaiter, comment habiller comment éduquer ses enfants… vous sabordez l’autorité des parents et vous laissez des enfants livrer à …

C : livrés à eux même ?

K : non, encore s’ils étaient livrés à eux même cela serait mieux, ils sont sous influences : des enfants livrés à des modèles sociétaux qui ne sont pas les leurs. L’Education Nationale uniformise tout, elle nous éduque comme la Nation le veut et non dans l’intérêt des familles et des modèles individuels.
La société ne tient pas compte des individus et des différences, cela fait de nous des personnalités égoïstes, des machines. Les machines cela n’a ni moral, ni principes, ni sentiments … ni quoi que ce soit.
Au final cela donne des adolescents, des jeunes majeurs ou des adultes qui se foutent de tout, ne respectent rien… pour un bout de shit, une barrette ou « tu m’as regardé de travers, je vais t’enlever ta vie, tu regardes ma femme, je vais t’enlever ta vie »… mais cela n’est pas au sens figuré c’est vraiment au sens propre …

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Cela fait écho en moi même si l’analyse de Kassim est personnelle, mais elle nous renvoie a des faits divers comme l’affaire de Julien Mendy :

Velaux : julien, 26 ans, tabassé pour « un simple regard de travers »

Lundi 28/07/2014
Dimanche soir, une violente bagarre entre deux bandes a éclaté suite à un « regard de travers ». L’un d’eux, âgé de 26 ans, a été heurté par une énorme pierre à la tête. Plongé dans le coma, il se trouve entre la vie et la mort.
Julien avait été lynché après une « pool party »

… Mais cette société exacerbée avec une jeunesse prête à tout existe bien la violence et le deal font malheureusement bon ménage …

Ex : Un Avignonnais né en 1982 a été condamné avant-hier soir par le tribunal de Valence à 24 mois de prison dont 6 mois avec sursis, 2 ans de mise à l’épreuve et 5 ans d’interdiction de séjour dans la Drôme.

Ce jeune homme avait été arrêté le 30 octobre dernier par la gendarmerie de Nyons, avec en sa possession 1,8 kg de résine de cannabis, 800 grammes de cocaïne et une arme à feu : un pistolet 22 long rifle.

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K : Un instinct basique et bête, il va t’enlever ta vie, du jour au lendemain, le mec il s’en fout si tu as une famille, des gosses, il va t’enlever ta vie … Pourquoi parce que tu l’as frustré.

C : et qu’est ce que tu penses de cette violence-là, elle se justifie ?

K : … Non elle ne se justifie pas, il n’y a aucune violence qui se justifie, aucune… du moment où vous employez la violence c’est que vous avez déjà perdu…
Qu’est ce que vous voulez faire : une Kalachnikof 400€, 800€ avec des cartons de cartouches… le petit il vend du shit en une journée il fait 800€ et lui il ne sait pas se battre, il ne peut pas se cogner avec un jeune de 24 ans. Lui qui a dix-huit ans à la fin il va aller s’acheter une arme. Demain tu viens lui briser les couilles lui qu’est ce qu’il va faire il va briser la vie de ta famille.
Est-ce que c’est normal est-ce que ce n’est pas normal ? Non c’est pas normal, mais la vraie question qu’il faut se poser : comment les Kalachs sont rentrés en France et plus encore ?… comment elles sont arrivées dans les quartiers ?
C’est là où je vous disais c’est sociétal et voir même politique et cela n’est pas nouveau.

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C : Tu penses qu’il y a une volonté politique de laisser-faire ?

K : je pense qu’il y a du laxisme et qu’il y a une énorme volonté de laisser faire…

C : Pourquoi cela arrange qui ?

K : Cela arrange les politiciens d’abord… de toute façon qu’elle soit le modèle de l’Occident, de l’Europe de l’hexagone, la France… Quel est notre modèle à nous pour tous les jeunes c’est le modèle Américain qui prime.
On veut tous ressembler au peuple américain, on veut avoir leur liberté, leur façon de vivre, leurs lois. Y a dix ans en arrière les Noirs, les Arabes, et tous dans les quartiers, on s’habillait comme eux, le pantalons en bas des fesses jusqu’aux genoux, par la suite on a rapé comme eux, maintenant on s’habille sexy on a les vêtements serrés au corps … c’est une suite logique. Après le rap la bouffe les tenues vestimentaires et tout, il arrive le meurtre comme en Amérique…

C : Est-ce que tu penses en avoir fini avec tout ça ?

K : heu… moi je pense que oui… en fait on ne peut être sûr de rien, car dans la rue les gens ils sont très rancuniers, ils n’oublient jamais c’est pire que des cartes mémoires d’ordinateurs. Moi personnellement oui je suis sorti de là je vis avec ma famille, je m’occupe de mes gosses, de ma mère, mes frères mes sœurs, j’ai ouvert une association, oui personnellement je suis sorti de là.

C : La famille que l’on crée (les réseaux) a-t-elle plus de poids que la famille d’où l’on vient, qu’est ce qui peut faire qu’on peut sortir de là ?

K : non pas du tout… la famille que vous créez vous allez la façonner par rapport à la famille que vous avez, même si vous n’allez pas tout faire pour que ce soit identique.

C : Pourtant ta famille n’a pu empêcher ton parcours, ta dérive comment expliques-tu cela ?

K : Ma famille n’a pu empêcher mon ascension dans la rue, la délinquance, car j’avais la tête dure, je ne voulais rien entendre. Ils n’ont rien pu faire, car quelqu’un qui ne veut pas, il refuse.
Que voulez-vous qu’ils fassent mon père, mon grand frère, qu’ils m’enterrent, en me tuant ? Ça, ce n’est pas possible. Ils sont impuissants, au bout d’un moment vous ne pouvez que laisser au gosse la possibilité de faire ses choix ses propres erreurs et prier Dieu pour qu’il ne meurt pas, pour qu’un jour il retrouve la raison et le droit chemin.
Et l’influence extérieure pèse plus dans nos choix, moi ce qui a fait la différence c’est que j’ai vu de nombreuses personnes mourir et que j’en connaissais beaucoup… Souvent ils étaient avec moi à l’école, on trainait ensemble et malheureusement cela n’arrive pas qu’aux autres … Je ne voulais pas que ça m’arrive parce que j’avais des gosses et que je voulais les voir grandir.

C : tu voulais ou tu veux toujours ?

K : je veux toujours, mais à l’époque quand j’ai fait le choix d’arrêter c’était ma motivation, j’ai même frôlé la mort (dit-il derrière un rire qui dissimule son malaise et son secret gardé). La rue c’est comme la Franc-maçonnerie ou le politique, vous allez jusqu’au bout ou vous sortez de là quand vous êtes mort.

Je voulais sortir de là maintenant J’ai mûri, je suis sorti de là, mes choix sont différents.