Ceci pourrait être une fiction, mais malheureusement cela n’en est pas une. C’est une situation vécue, une réalité comme des milliers d’autres dans le quotidien de la justice Française, le quotidien des cités. Celui où une violence règne, où la loi de la débrouillardise, du sauve qui peut fait échos… À chacun ses armes à chacun ses réponses.

Comme nous avons évoqué « la réalité anonyme » de ce bénéficiaire de l’A.S.S. et cette précarité indécente dans laquelle il se trouve emprisonné … comme lui, il en existe des milliers dans nos Quartiers. Arrêtons-nous aussi sur cette réalité du Cannabis et observons de plus prés, à travers ces témoignages, l’univers de l’économie parallèle et du deal et ses répercutions sur la vie de nos Cités …

Témoignage du Docteur Christiane Giraud

Assassinat d’un jeune de la Cité
Le retour des drogues dures et des jeunes errants

Fait divers : une vie n’est plus, mais l’histoire se continue dans le petit quartier de la Busserine, où la violence désormais atteint son paroxysme

Jeudi 24 avril 2014 … 9h50, alors que je me dirige vers l’association afin de rédiger un nième portrait d’habitant…
J’amorce un virage devant la Tour Q, pour rejoindre le local, je vois une jeune femme d’origine des Comores, à l’arrêt de bus au pied aux pieds de la tour de la Busserine, défaillir le téléphone en main, soutenue par un jeune homme.

Intrigué je ralentis et continue ma route quand au bout de la rue je suis le témoin d’une scène de polard qui se déroule … au présent. En pleines vacances de pâques, les enfants sont en congés le soleil est au rendez-vous et pourtant, rien ne laisse supposer le drame humain qui se joue, sous mes yeux.

Des jeunes accourent face à moi rejoignant une voiture où gît un autre homme. On vient de lui tirer dessus, il ya 2 minutes à peine, en pleine journée, au pied de l’immeuble, derrière le bâtiment E. Très vite les premiers habitants arrivent, deux d’entre eux sont déjà prés de la victime tentant vainement de vérifier l’état de son pouls … des impacts de balles sur le jeune et sur le véhicule témoignent de la violence des faits, trois sur le pare brise et un sur le toit de la C3. Le jeune homme semble inconscient, voire peut être déjà mort. La victime est un proche de l’un d’entre eux et il est peu concevable de ne pas tenter l’impossible pour vérifier la vie qui s’échappe malgré tout.

Le jeune Fathy tente de vérifier si le cœur bat toujours, mais une balle à la poitrine trahit une blessure sur le flanc gauche, un autre projectile a atteint la cuisse. Je tente de dissuader les secouristes de toucher à la scène du crime, mais rien n’y fait, impossible de rester là impuissant face à cette agression.

Très vite le véhicule est cerné de femmes, d’hommes et d’enfants, chacun tout comme moi veut vérifier qu’il ne s’agit pas d’un visage familier, chacun accuse le coût de cette violente fatalité. Je comprends rétrospectivement que la jeune femme de l’abri bus a entendu et peut-être vu la fusillade et la tentative d’assassinat.

L’exécution d’un jeune homme de 24 ans, à 10h du matin en plein cœur de la cité pendant les vacances scolaires.

Trois étages plus haut un cri de femme déchire le silence, un enfant au bras. Elle, l’épouse et la mère, hurle de douleur, c’est son époux qui gît plus bas, d’autres femmes pleurent en échos, c’est le chaos général. Très vite des jeunes organisent les premières mises à l’écart demandant à la foule qui s’est constituée progressivement de reculer et de laisser une place aux secours prévenus. Il y a malheureusement parmi la foule des enfants.
En ce milieu de matinée, l’émotion est palpable, des femmes pleurent, hurlent, des gens donnent des conseils, d’autres lancent des injonctions, on crie, on parle, on se presse prêt du véhicule pour tenter de reconnaître la victime, cet enfant du quartier…

Très vite les amis de la victime demandent une couverture pour masquer le pare-brise, et tenter de cacher avec pudeur la scène du drame à un public apeuré qui ne comprend pas, qui n’accepte pas ce fait divers, ici à cette heure.

Le temps est suspendu, le quartier vit à l’heure du drame : ce drame qui terrasse lâchement, un visage familier, un voisin, un ami, un frère, un enfant de la cité.

Des femmes en voile, des hommes en barbe, des travailleurs sociaux, des responsables associatifs, des anonymes aussi accourent de toute part. Les détonations ont fracassé la lumière du jour, plus haut la femme demande, implore, un enfant à son bras et un autre dont le visage dépasse à peine du balcon.

La foule est immense et les balcons sont peuplés de curieux incrédules qui jaugent plus bas le théâtre de cette incroyable réalité… Les minutes semblent des heures avant qu’enfin les premiers secours n’apparaissent. Un premier camion de pompiers, puis deux minutes après les urgences et la réanimation sont sur les lieux suivis de prés par les premiers véhicules de Police.

Les fonctionnaires en gilets pare-balles et Flash Ball au poing, comme si cela n’était pas suffisant, rajoute une « dimension surnaturelle », confortant ainsi la violence et la gravité de la scène. Les forces de l’ordre se déploient pour exiger de la foule qu’elle recule… toujours plus loin. Mais cette proximité avec la victime doublée d’une solidarité avec la famille est tangible, soutenue par une population d’anonyme encore abasourdie par le choc de cet assassinat.

Un fonctionnaire maladroit et menaçant bouscule la foule verbalement, rajoutant une note d’insupportable… mais très vite elle est reprise par des femmes en voile et des mères, des sœurs qui réagissent à cette nouvelle agression non justifiée, l’une d’entre elle lance comme pour « exorciser » un trop-plein d’émotion : « nous ne sommes pas du bétail… ». C’est la jeune Latifa responsable du snack « le va-et-vient », qui se heurte verbalement au fonctionnaire indélicat venu semer le trouble déjà oppressant en cette matinée.

Les pompiers tentent un massage cardiaque … des perfusions sont installées, la foule toujours plus présente se trouve accolée aux bandes rouges et blanches qui délimitent la scène du crime. Ce n’est pas une fiction, mais bien une tragédie qui se vit en direct, dans notre petit territoire de la Busserine.

Quand soudain le père et la mère apparaissent au loin, cette dernière s’effondre sur l’épaule de son homme, c’est son fils qui gît là au milieu de ce théâtre improvisé. Comment accepter cette réalité ? Ce n’est pas possible … ses jambes ne la tiennent plus, elle s’effondre. Le Préfet et la police judiciaire percent le dispositif, la pressent timidement, tentent de se frayer une écoute auprès des groupes qui réagissent à la situation, puis des caméras plus visibles et plus nombreuses viennent renforcer et soutenir l’information.

Très vite la rumeur circule, la foule parle : « c’est Hamada, il est sorti il y a peu de temps de prison, il rejoignait son véhicule … ». Le fait divers n’est plus anonyme, il porte un nom.
Des proches pleurent, la mère est escortée au camion de pompier sur un fauteuil. Le grand frère arrive et découvre la scène, une sœur pleure sa peine et son refus de…

Deux heures plus tard, la foule se disperse peu à peu, s’en est fait on ne peut plus rien pour la victime qui s’est éteinte malgré l’intervention des premiers secours. Chacun retourne à son quotidien encore choqué par cette tragédie. Quelques badauds restent et assistent aux dernières opérations.

13h : le nouveau Maire (FN) de secteur apparaît et je vois du snack où l’on commente ce climat d’insécurité et l’audace des agresseurs, un attroupement autour de lui. Lorsque je m’approche, je surprends son discours sur la démission des parents…

Il est repris par plusieurs Habitants et disparaît plus vite encore qu’il est venu. Intervention inopportune face à cette tragédie. Une vie n’est plus, mais l’histoire se poursuit dans le petit territoire de la Busserine, où la violence désormais s’installe peu à peu. Jusqu’où ira-t-elle ?

Depuis janvier 2014 : 10 assassinats déjà et du 24 avril jusqu’au 10 mai 2014 trois nouveaux décès par balles.