Briser les Chaînes

A propos de … « Briser les chaines« …

MUCEM :

Le dimanche 29 mai 2022, on a « brisé les chaînes » au festival « OH ! LES BEAUX JOURS »…
Lors de cette rencontre animée avec brio par Olivia Gesbert, il a été question, en filigrane, de transmission : autrefois, dans certaines sociétés, il était de tradition que les anciens transmettent aux jeunes leur histoire, leurs coutumes, leurs rites.

Ici, par le biais de de la littérature, la passation est faite, entre les Martiniquaises Françoise Ega et Audrey Célestine d’une part et d’autre part entre l’Antillo-Guyanais René Maran et Mohamed Mbougar Sarr, le Sénégalais. Ils ont pour mission de « lire-parler ». L’un évoque le texte de l’autre et chacun présente un auteur, une femme pour elle, un homme pour lui.

Constance Dollé fait la lecture magistrale d’un extrait du roman de René Maran « Un homme pareil aux autres » ; d’emblée cet extrait pose une des problématiques communes aux deux auteurs, présentée dans cet extrait sous la forme de la fiction. Cette lettre de Jean Veneuse (personnage principal) à Andrée est une lettre d’amour. Mais aussi la lettre d’une rupture causée par l’impossibilité de l’amour entre deux êtres séparés par les préjugés raciaux de l’époque.

La discussion pose les bases d’une intertextualité pertinente, de Stendhal et Flaubert à Fanon, de Françoise Ega à René Maran tant les liens se tissent d’un auteur à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’un continent à l’autre.
Il s’agit de déterminer les points communs entre les deux auteurs à l’honneur : tous deux sont des auteurs Antillais contemporains, ont grandi en Martinique, ont vécu leur vie d’adulte en France et ont partagé la même passion de l’écriture.

Ega mène une enquête en immersion : les « Lettres à une Noire » traitent de l’exploitation, du racisme plus ou moins latent, de la servitude des jeunes femmes expatriées dans les années 60 par le BUMIDOM (Bureau des Migrations des Départements d’Outre-Mer)

Le style épistolaire des « Lettres » comble, d’après Audrey Célestine, le trou de cette période importante des Antilles ; période peu évoquée dans la littérature des deux bords de l’Atlantique.

La deuxième lecture, quant à elle, est extraite de la journée du 6 avril 1963 : cette scène évoque une concierge blanche reléguée par ses patrons à la cave. Ega rapporte dans ce huis-clos avec une rigueur impitoyable la crudité du décor et la vie misérable de cette femme. Scène qui révèle le sens de la justice sociale de Ega, chevillée au corps, qui fait abstraction de la couleur de peau, car peu importe l’humain exploité quand il est question d’injustice.

Les enjeux des textes sont le deuxième point commun entre Ega et Maran : écrire pour soi et raconter les autres ; documenter par des faits précis l’injustice sociale et les préjugés raciaux. Il est question de corps et de peaux : dénonciation des faits coloniaux et post-coloniaux, « la colonisation sert à déshumaniser le colon ». Cette interpellation d’Aimé Césaire est rappelée par Mohamed Mbougar Sarr, des colonisés et des colons lesquels sont les barbares ?

Une dernière question est posée : quel est l’intérêt de ces rééditions ?

Les thèmes qui y sont abordés, un demi-siècle après, sont toujours d’actualité :

Le deuxième extrait des « Lettres » montre un caractère et une plume bien trempés. Si le statut a changé (de colonie, on devient département) cependant la réalité des personnes est la même : la question de la domination d’une catégorie de personnes sur l’autre catégorie, et celle de la légitimité de l’écrivain quand il est Noir ?

La réflexion portée est celle de la personne quand elle est considérée par le prisme de sa couleur de peau, dans la relation amoureuse, ou dans la relation interpersonnelle.

Les « Lettres » appartiennent aux récits intersectionnels où une triple discrimination est évoquée :

Le genre / la race / la classe, tels qu’Elsa Dorlin les a exposés.

Cette rencontre est conclue par la lecture d’un extrait de « La plus secrète mémoires des hommes » que Mohamed Mboucar Sarr présente comme le voyage d’une race à une autre : un homme pareil aux autres ou un homme à nul autre pareil ?

C’est donc avec une fierté teintée d’humilité que Le Comité Mam’Ega est honoré par la présence de Françoise EGA dans la programmation du prestigieux festival littéraire « Oh les beaux jours » ainsi que par son « passage » dans l’un des Panthéon de la Culture Marseillaise, le MUCEM (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée).

Nous osons espérer que l’exemple de Françoise, habitante des quartiers populaires de la Martinique puis de ceux de Marseille augure de perspectives prometteuses en offrant des champs du possible.

  • Pourquoi ne pas ouvrir une fenêtre sur la littérature haïtienne dans le cadre du festival « Oh les beaux jours » ? De jeunes écrivains de talent, issus de ce pays à la dérive, de ce pays en détresse, Haïti, espèrent éclore : Haïti première République Noire du Monde. Cette action constituerait un geste concret de solidarité avec les haïtiens une façon de ne pas les oublier…
  • Pourquoi ne pas poursuivre l’ouverture du MUCEM aux mémoires des quartiers populaires de Marseille ? Marseille, seconde ville de France, est un carrefour de populations provenant du Tout Monde et contribue ainsi à tisser les liens de la Relation Monde.

Et enfin, Françoise Ega est une illustration avant l’heure de l’assertion de Glissant « Agis en ton lieu, pense le Monde ». Et de façon indicible, René Maran, converge vers cette même idée d’action que l’on retrouve dans l’intitulé de son prix Goncourt « Batouala » qui pourrait se décliner ainsi : « Bats toi… là ».

MERCI AU MUCEM ET AU FESTIVAL » OH LES BEAUX JOURS » SANS OUBLIER VINCENT (qui se reconnaîtra)

Pour le COMITE MAM’EGA
Jean-Marc EGA et Christiane TOUMSON-EGA

Oh les beaux jours

« BRISER LES CHAÎNES »

Dimanche 29 mai 2022 à 14h
En coréalisation avec le Mucem.

Avec Audrey Célestine et Mohamed Mbougar Sarr
Rencontre animée par Olivia Gesbert
Lecture par Constance Dollé

Avec Audrey Célestine et Mohamed Mbougar Sarr. Lecture par Constance Dollé.

Ces derniers temps ont paru deux textes écrits par des auteurs martiniquais du siècle, qu’il est urgent de redécouvrir. Un homme pareil aux autres est l’œuvre de René Maran (1887-1960), dont on se souvient peut-être qu’il fut le premier écrivain noir français à recevoir le prix Goncourt en 1921 mais moins qu’il est l’auteur d’une œuvre riche et inclassable. La réédition de ce livre par les éditions marseillaises du Typhon s’inscrit dans le désir de faire découvrir un grand texte qui nous confronte aux ravages de la colonisation et à une forme de racisme introjecté, où la haine de soi vire à la haine de l’autre. On y suit Jean Veneuse, un administrateur colonial en partance pour le Tchad, inlassablement assigné à sa couleur de peau, qui s’autodétruit jusqu’à briser son amour avec une Blanche. C’est un autre prix Goncourt, Mohamed Mbougar Sarr, auteur de la préface de ce livre, qui viendra parler de ce texte, abordant plus largement la question de l’écriture et du roman pour dire la violence raciale.
Lettres à une Noire a été publié pour la première fois en 1978. Écrit par Françoise Ega (1920-1976), ouvrière, militante et mère de famille établie à Marseille au milieu des années 1950, ce livre relève autant du récit intime que de la littérature de combat. À cette époque, des centaines de jeunes filles venues des Antilles débarquaient à Marseille pour devenir les domestiques de familles bourgeoises françaises. Bouleversée par l’indignité de leur statut, Françoise Ega se fait employer à son tour comme « bonne à tout faire » pour mieux dénoncer des conditions de travail proches de l’esclavage et décide de consigner cette expérience dans un journal. C’est l’historienne Audrey Célestine, spécialiste des populations noires en France et autrice d’un essai où il est question de Françoise Ega, qui viendra présenter ce classique du féminisme noir. Des extraits des deux textes seront lus par la comédienne Constance Dollé.

Mucem
Auditorium
1 Esp. J4
13002 Marseille

À LIRE :
Audrey Célestine, « Des vies de combat. Femmes, noires et libres», Iconoclaste, 2020
Françoise Ega, « Lettres à une Noire », Lux, 2021 (préface d’Elsa Dorlin)
René Maran, « Un homme pareil aux autres, » Les Éditions du Typhon, 2021 (préface de Mohamed Mbougar Sarr).
Mohamed Mbougar Sarr, « La Plus Secrète Mémoire des hommes », Philippe Rey/Jimsaan, 2021. (Prix Goncourt 2021).